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Domaine étranger Un grand seigneur du dessillement

mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201 | par Richard Blin

Ascète raté, croyant-mécréant désabusé, Guido Ceronetti avait dressé, il y a dix ans, un portrait saignant des hommes et du monde. Entre abîme et lumière.

Insectes sans frontières

Pour ne pas oublier la mémoire

Sans aller jusqu’à voir en Guido Ceronetti (1927-2018) un Montaigne d’outre-Alpes comme le fait Samuel Brussell, le traducteur d’Insectes sans frontières, on peut cependant reconnaître que l’Italien procure le même plaisir de lecture tant ses réflexions décalées et radicales, mais souvent inventives ou lumineuses, peuvent surprendre, enchanter ou agacer. Préférant, comme Montaigne, au traité en forme, un style d’écriture qui privilégie le discontinu, la suite sans gradation ni hiérarchie de morceaux ou de fragments – ici numérotés et au nombre de 343 – Ceronetti est un sceptique au parler prompt et au mysticisme pervers. Esprit libre à l’âme « naturellement gnostique », il aime à se mêler passionnément de tout parce qu’il n’appartient à rien. Il observe son époque et le monde, en anatomiste et en voyeur inspiré, perpétuellement en quête de ce qui peut justifier sa philosophie intempestive, qu’il dit destinée à « gratter un peu les têtes pensantes de la fourmilière humaine ».
Sous un titre particulièrement ironique – celui d’une association, nommée Insectes sans frontières, se proposant de sauvegarder toutes les espèces d’insectes en leur garantissant la liberté de piquer, et dont l’objet est de lutter contre l’excès de prolifération humaine –, sont donc réunies les pensées d’un « philosophe inconnu », comme il se nomme lui-même, d’un esprit inclassable bien décidé à ne pas biaiser avec notre nuit. Livre d’un faux misanthrope que Cioran a fait connaître en France lors de la parution de Le Silence du corps (Albin Michel, 1983). Et il faut bien reconnaître qu’à l’épreuve de son regard acéré, il ne reste pas grand-chose, ni de l’homme ni de Dieu ni de notre monde, peuplé « d’ignares excellemment formés », de tueurs de mythes, de salisseurs du sacré. C’est que Ceronetti a la méchanceté perspicace. Qu’on en juge : les manifestations pour la paix sont « des danses de méduses. Ivres de se retrouver tous ensemble et nombreux, les mollusques s’imaginent être des vertébrés. »  ; l’humanité, quant à elle, se nourrit mal, « perd le flambeau de l’écriture à la main », se reproduit « tel le lapin des Baléares » et fait de l’orgasme sexuel, « une fin en soi ». Tout se passe comme si l’homme sécrétait du désastre, ne croyait qu’à l’évangile de la violence, aux forces occultes et indéchiffrables du mal. « C’est dans le mal que l’humanité a effleuré, souvent quotidiennement, l’absolu de la perfection. » Dans un monde où la souffrance est immense, où la beauté n’est souvent plus qu’un « lieu commun galvaudé à la légère », où le rêve de société égalitaire, nivelée et nivélatrice évoque « ce que, dans les cimetières, on nomme fosse commune » et sur une planète où « la contagion humaine » viole le « Tout vivant », où l’homme se comporte comme « un violeur sadique qui s’est emparé de la Terre pour en faire un enfer », nous devons, dit Ceronetti cesser d’engendrer. « Une conscience qui réfléchit ne peut que s’abstenir de propager l’espèce. »

« C’est dans le mal que l’humanité, souvent quotidiennement, a effleuré l’absolu de la perfection ».

Sous la vigueur corrosive de ces propos, il faut entendre le cri d’un homme qui ne s’est jamais remis du tragique fondamental de l’existence, autrement dit de cette anomalie d’avoir à naître, pour avoir à en finir. Qui combat le culte de la raison, si parallèle à celui de la science. Qui n’a de cesse de désempiéger les leurres, de susciter un sursaut vers la lumière. Une lumière qu’il cherche aux points de frottement de la mystique hébraïque ou féminine et de la prophétie ésotérique, dans les révélations philologiques du latin, du grec, de l’hébreu ; dans le sublime aussi, comme dans les tréfonds d’un cœur archaïque, d’un « cœur analphabète », ou dans le sourire « des plus enchanteurs et des plus énigmatiques » des jeunes filles myopes « qui portent des lunettes aux verres clairs ».
Entre exercices d’insoumission, culture de l’intranquillité et sentences sans appel, ce livre d’humeurs, d’éclairs et d’obsessions paraît simultanément avec un autre, Pour ne pas oublier la mémoire, un plaidoyer pour la mémoire véritable contre la mémoire électronique qui « ne cesse de supplanter la réalité elle-même ». Écrit à 90 ans, alors que pris dans les tenailles de la vieillesse, la mémoire de l’auteur commence à prendre l’eau, ce bréviaire insiste sur l’absolue nécessité de lutter contre l’appauvrissement de la communication verbale et écrite, tout en proposant conseils et astuces pour y parvenir, tant, tous, nous ne vivons qu’en nous souvenant.

Richard Blin

Insectes sans frontières, de Guido Ceronetti,
traduit de l’italien par Samuel Brussell,
208 pages, 15
et Pour ne pas oublier la mémoire, de Guido Ceronetti,
traduit de l’italien par Béatrice Vierne,
112 pages, 12 , de Guido Ceronetti, éditions du Cerf.

Un grand seigneur du dessillement Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°201 , mars 2019.
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