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Poésie Peaux noires, ombres blanches

mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201 | par Emmanuel Laugier

Des trois textes de Un objectif (1930) de Louis Zukofsky, à Discipline, de la poétesse et militante Dawn Lundy Martin, biais et bords des questions que soulève l’écriture face au corps, au réel, à l’histoire.

La réédition de Un objectif, du grand poète Louis Zukofsky, permet d’interroger la multiplicité des héritages de ce que l’on a appelé l’objectivisme américain et d’essayer de mesurer son impact dans la poésie, notamment américaine. La première traduction d’un livre de Dawn Lundy Martin, poétesse, militante féministe proche des Black Lives Matter (« Les vies noires comptent »), en est l’occasion. Martin œuvre en effet, avec quelques autres, dont Claudia Rankine, au renouvellement d’une poésie dite documentaire, voire à une nouvelle objectivité. Les questions que soulève Un objectif touchent ainsi, directement ou de biais, les poètes d’aujourd’hui. L’objectivisme cerna avec des lentilles neuves une nouvelle façon d’appréhender le matériau langagier et toutes les interactions qu’il a avec le temps, la société, l’économie, le travail, etc. Ce sont de nouvelles prosodies qui se déploieront alors, chacune avec leur singularité (de William Carlos Williams à Reznikoff, en passant par Rakosi et bien d’autres), chacune concevant l’écriture comme une pointe où quelque chose se donnerait à voir, avec un maximum de volonté de précisions et d’exactitudes dans l’énonciation. Comme si l’acte d’écrire devait ici avoir la même exigence de construction que celle d’un simple cube posé, retourné, scruté en tous sens devant soi.
Rien n’est pourtant plus loin de l’objectivisme que l’idée de vases communicants, comme si celui-ci pouvait être un simple décalque, voire une copie, des choses perçues, ne serait-ce que d’un cube. Les volumes de A (L. Zukosfky) par exemple, qui interrogent autant Bach que Marx, la grande broyeuse du capitalisme que les microperceptions de l’ordinaire, voire d’un infra-ordinaire d’emblée politique, montrent au contraire l’effort d’agencement multiple du poème face à ses sujets et objectifs, comme celui, central, du travail sur la syntaxe. Son effort consiste à intégrer en son corps toutes les dimensions d’un fait, d’un volume (building, plan de coupe d’une rue, d’une composition, etc.), d’un pli, d’une structure, d’une société. « Accords, liaisons, accents, tons, connexions ; prosodie et parataxe », précise David Lespiau, sont les éléments convoqués par Zukofsky et ses camarades en vue d’un poème construit comme un objet ordinaire, commun, ouvert. Il travaille en lui, en sa langue, une agrammaticalité possible comme moments d’écarts, de distance, ainsi que de clartés conjointes. Tout alors se verrait mieux : « soudain on voit quelque chose  ». Et de rappeler qu’il « faut en revenir à la matière de l’objet poétique, à sa totalité simple  » pour envisager l’objet-poème dans ses dimensions minimales ou littérales, afin qu’il s’écarte de complexifications vaines ou confuses. C’est, entre autres axiomes, ce que l’on peut saisir dans Un objectif.
L’« image », « Le son », « Le jeu des concepts », tels que « Déclaration pour la poésie  » (1950) les exposent, peuvent résonner avec la pratique poétique de Dawn Lundy Martin ainsi déployée dans son puissant livre Discipline. En un sens elle perpétue (« les bons poèmes contemporains ne sont pas loin des bons poèmes d’hier  » [L. Z.]) les axes tranchants de l’objectivisme en une nouvelle objectivité. La phrase suivante nous en rappelle la ligne éthique, jusque dans les torsions syntaxiques qui la travaillent : « Pas tant un nom que le résultat d’un nom. Comme une métaphore pour l’intérieur de l’œil, tournant  », et d’enchaîner en des poèmes en prose rase par ce « De grandes mains dures menottées. Là une odeur indéfinissable. Il y a là avait. Un. Nous. Là. »
Les disciplines de Discipline sont donc aussi « actions d’apprendre », « matières d’enseignement », « éducations, formations », résistances face aux ségrégations des corps et des affects, en l’occurrence des corps des communautés noires. Façons de se soulever et d’émanciper, toutes voix comprises, d’échapper aux logiques victimaires. Le fouet de la syntaxe est ainsi retourné contre celui de la discipline racialiste et contre ses abjections, pour frontalement voir « les poignets attachés fermement dans le dos. Depuis la fenêtre en bois, vues sur n’importe quoi  », ou encore qu’« il y a des corps plein les arbres – on le sait. On les voit quand on ne s’y attend pas. Affamés et résonnant dans l’air glacé  ». Voir en ce Strange fruit, c’est voir encore que « toutes les/peaux noires brillent dans cette lumière et personne n’a peur nous sommes/tous joyeux mais il est difficile de dire si la joie est réelle ou si/c’est juste une absence de peur  ». C’est tout le sens, inédit, de l’engagement de Martin.

Emmanuel Laugier

Un objectif, de Louis Zukofsky
Traduit de l’anglais (États-Unis) par
Pierre Alferi, préface de David Lespiau, Héros-limite, 56 pages, 8

Discipline, de Dawn Lundy Martin
Traduit de l’anglais (États-Unis) par
Benoît Berthelier, Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes, Joca Séria,
72 pages, 13,50

Peaux noires, ombres blanches Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°201 , mars 2019.
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