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Domaine français Maison close

avril 2019 | Le Matricule des Anges n°202 | par Anthony Dufraisse

Sylvie Dazy raconte des vies dans une ville fluviale qui se transforme à marche forcée.

Ma façon de vivre gêne, elle ne convient pas. Les braves gens n’aiment pas que. » Le deuxième roman de Sylvie Dazy s’ouvre sur un petit air de Brassens, ritournelle qui nous met d’emblée face à une différence radicale. Car Paul Valadon est claustré, un reclus volontaire doublé d’un accumulateur compulsif. Dans sa maison délabrée, ce veuf emmagasine, stocke, entasse. Caverne alibabesque, capharnaüm, son chez-lui défie l’entendement commun. Sa thésaurisation pathologique suscite alentour humeurs et rumeurs. Dans le voisinage, les habitants voient d’un mauvais œil cette maison close : « Il vit dans un fatras pas possible, avec des animaux, il ne sort pas », pas même les poubelles. De chats et de chiens entouré, lui se voit comme un genre « d’architecte d’intérieur », pratiquant l’accumulation d’objets hétéroclites comme une forme appliquée de cubisme : « Le génie humain transformait une petite maison de cheminot en puits sans fond. » Au royaume du rebut, le valétudinaire Valadon est donc maître absolu.
Terré dans son « domaine », ce César de l’ordure domestique compressée devient, à mesure qu’on s’intéresse à lui de toutes parts, une figure de forcené. Il n’a pas d’arme avec lui, mais il a foi en lui, en sa vision asociale du monde. Il refuse la société de consommation et toute sociabilité factice. Si le quartier s’inquiète pour des risques d’insalubrité, ce sont surtout les projets des promoteurs que le vieil homme dérange. Entre les voisins qui daubent sur sa bicoque et les commerciaux qui la lorgnent, ça toque et ça toque à sa porte : il y a Louise, une assistante sociale ou Théo, côté spéculateurs, qui tente en vain de déloger le bonhomme…
À travers de courts chapitres, ces personnages et d’autres se succèdent, chacun avec ses valeurs, ici bienveillance, là cynisme, incarnant un point de vue sur notre époque. En mettant en scène un homme qui semble atteint de syllogomanie ou de ce qu’on appelle plus communément depuis les années 70 syndrome de Diogène (en référence au philosophe de l’Antiquité grecque qui dénonçait l’artifice des conventions sociales jusqu’à dormir dans un très exigu tonneau), Sylvie Dazy poursuit d’une certaine manière, volontairement ou non, sa réflexion sur l’enfermement entamée dans son premier roman, Métamorphose du crabe, nourri de sa propre expérience d’éducatrice aux prisons de Fleury-Mérogis et de la Santé. Cette fois, en entrant dans la tête maniaco-excessive d’un solitaire qui a fait de son espace vital « une vie ramassée, pliée au maximum », il s’agit d’aborder l’enracinement géographique. Le roman se contenterait-il toutefois de cette seule approche, on tournerait sans doute vite en rond. Or Dazy, d’une écriture socio-topographique, regarde au-delà de cet acte de retranchement pour interroger, non sans ironie souvent, la boboïsation idéalisée d’une ville prise en étau entre deux fleuves qui ne demandent qu’à sortir de leurs lits. Toute réhabilitation urbaine portant en elle la tentation de la tabula rasa, la plus-value espérée de demain voudrait ici effacer la mémoire ouvrière d’hier. Et même, la grande pulsion immobilière croit pouvoir s’affranchir de la pulsation de la nature environnante.
Seulement voilà, irrésistible montée des eaux il y aura. Si la maison du réfractaire Valadon représente d’abord un îlot de résistance face à un urbanisme qui se veut cool, il apparaît vite comme l’épicentre d’un « séisme » à venir puis, la crue survenue, comme un poste d’observation privilégié. Alors Valadon, attentiste « philosophe des catastrophes » dans sa réclusion à perpétuité, finira par se révéler un genre de prophète. À domicile il assiste, entouré de ses bêtes (et en cela moins Diogène que Noé), à ce qu’il imagine être l’embâcle, ce spectacle de la cristallisation des eaux glacées qu’on observe au pôle Nord. Quand l’annonciation prend la force et la forme d’une inondation.

Anthony Dufraisse

L’Embâcle
Sylvie Dazy
Le Dilettante, 255 pages, 18

Maison close Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°202 , avril 2019.
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