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Poésie Un résidu à chanter

avril 2019 | Le Matricule des Anges n°202 | par Emmanuel Laugier

L’anthologie des poèmes de Durs Grünbein, Presque un chant, traverse le battement monstrueux du temps, avec ironie, nonchalance et rage lyrique.

Dans son trop méconnu livre d’essais Galilée arpente l’enfer de Dante (L’Arche, 1999), Durs Grünbein écrit ceci de Büchner : « Il a sans cesse retourné la doublure des nerfs et l’a fait scintiller dans la parole prononcée, dans l’instant pétrifié du choc. Les nouvelles forces motrices dramatiques apparaissent à la lumière de la microscopie médicale, ce sont des investigations détaillées (…). Derrière l’écriture travaille le nerf  ». Cette remarque forme autant son autoportrait qu’une visée de la littérature telle que Durs Grünbein (né à Dresde en 1962) la pratique. La technique de la langue, impressionnante, suit avec Presque un chant, sur plus de trente ans, des inflexions très différentes selon l’architecture voulue, ou ouverte, par chaque livre. Les poèmes restent souvent narratifs, d’un rythme ample tels Plis et replis, jusqu’aux plus brefs poèmes de Cyrano ou Le Retour de la lune, rassemblant quatorze portraits. Celui consacré au peintre dit maniériste Jacopo Pontormo s’ouvre ainsi : « Ce terrain d’aviation nocturne, dense et désert,/Bordé de containers, rempli de marchandises,/Du monde entier, mondialisation en attente,//Le voyageur fatigué l’aperçoit en passant./A quoi lui sert la plénitude, si chaque vie/S’embrase comme le jour qu’aucune pensée ne retient longtemps ?  » Cet embrasement, dont les portraits de Pontormo portent la marque dans l’usage flamboyant des tissus, des teintes, des expressions, Leçon crânienne (1991) le suit encore autrement. Ce livre emblématique de son œuvre, témoin de la fin de l’Allemagne de l’Est, fut le sismographe, comme le rappellent les traducteurs, d’un temps. En sorte de « télégrammes », ils sténographient l’époque comme des fuseaux acérés : le 12/11/89 « Reviens à toi, poème, maintenant le mur de Berlin est ouvert./Souffrance de l’attente, ennui au pays étriqué de Hegel/Révolu comme un silence d’acier… Heil Staline./Éclats des derniers ostensoirs retranchés derrière les blindés./Lentement les horloges accélèrent, chacune à une allure différente ». « Fin de trêve (…)/On défait les couronnes des vainqueurs, le fer-blanc, les promesses/Qui ont volé en éclats ».
Ce temps des horloges qui accélèrent, Durs Grünbein semble l’opposer au messianisme de l’acte des révolutionnaires, tel que Walter Benjamin les évoque (ceux de 1830) dans Sur le concept d’histoire, tirant sur les horloges pour arrêter le temps et ouvrir celui, qualitatif, qui s’opposera au compte du capitalisme. Ce pessimisme, ironique autant que gagné par l’inquiétude d’un sombre temps à venir (radioactivité, pollution, etc.), Grünbein l’entend comme ce « chuchotement et ce murmure qui grattent contre la suture du crâne, je veux parler aussi des voix réelles dehors, leur susurrement urbain dont peut-être prochainement des explorateurs de grandes villes livreront l’ouvrage ethnologique de référence  ». Les poèmes sont saillants de lucidité et d’invention verbale (sans compter l’aspect visuel qu’ils prennent sur la page) : « tout commence à être/compliqué//quand le gris/d’éléphant de ces murs de ban-/lieue te tape sur le système/au point que tu/ne fais plus attention aux innombrables/moments positifs./Puis soudain tout va/mal/tu n’es plus d’humeur/qu’à écrire de patientes/ élégies/tu bricoles un peu/sans joie ces mobiles/tarabiscotés faits de/fils télé-/graphiques et de vieux/grillages ».
Le poème date ainsi le temps, mais à chaque fois il parie sur celui qui ne lui est pas encore arrivé. Sa mesure, radiographique, chimique, inter-crânienne, capture plutôt le tremblement des nerfs comme celui du balbutiement de la langue à la crête du temps (Mandelstam). Tel est l’acte de l’écriture que Durs Grünbein conduit jusque dans Bougies d’allumage (2017), en ce bref poème où c’est tout le Singbarer Rest (ce Résidu à chanter ; Paul Celan) qui commence par dire le reste inappropriable d’une Europe spectrale : « Rien que cette aire de trafic nocturne/Avec ses milliers de/Lumières, comme des vers luisants/Flottant au ras du gazon ;/Tunnel qui s’enfonçait dans la grande obscurité mondiale  ».

Emmanuel Laugier

Presque un chant, de Durs Grünbein
Poèmes choisis par l’auteur, traduits de l’allemand et présentés par Fedora Wesseler et Jean-Yves Masson, Gallimard, 236 p., 23

Un résidu à chanter Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°202 , avril 2019.
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