On ne saura peut-être jamais ce qui a pris à Cécile Villaumé : professeure de lettres classiques, elle a décidé de se payer en un premier recueil de nouvelles la figure d’écrivains dont le parcours a eu l’heur de la faire sourire. Impertinente avec naturel et drôle par philosophie, elle a fondu sur les littérateurs et trices qui occupèrent ses longues heures d’études, compagnes et compagnons plus ou moins sympathiques et lisibles de sa vie de scholiaste. Elle est, il est vrai, prompte à saisir ce qui, des faits avérés et des commentaires colportés par l’air du temps, consolide une œuvre ou la dézingue. Toujours avec un profond souci de pédagogie, Cécile Villaumé s’est même livrée à de petites enquêtes pour nous amuser (prévoir les éclats de rire intempestifs en cas d’usage hors domicile), reprenant ses lectures à zéro, galopant aux Archives nationales pour étudier le dossier du professeur Mallarmé, plongeant même le nez dans les relations familiales de Françoise Dolto, dans la presse nauséabonde de l’affaire du petit Grégory, qui voua Duras à son rôle de pitoyable pythie, dans la journée d’une universitaire ès études de genre, faisant avec Charles d’Orléans sa comptabilité, avec Colette la découverte de la sexualité et avec Mme Roland le trajet ultime vers la guillotine, ressassant enfin, et par pure vengeance, les mises en scène empesées du Rhinocéros d’Ionesco par tel snobinard de la dramaturgie à la mode. Mais on la comprend : que de térébrantes expériences ! Il fallait sa subtilité et son ironie de lectrice convaincue par la puissance de la littérature pour oser se libérer ainsi des singes de l’art qui gesticulent sur les baobabs de la notoriété.
Pourquoi est-il important de jouer avec les auteurs classiques ?
Je dirais : pour éviter que ces pauvres classiques ne soient classés, comme des vieux dossiers que plus personne ne lit… Je pense qu’il faut bien insister sur le fait que c’est « jouer littérairement ». Rien de plus pitoyable que les affiches (les « réseaux canopé » de l’Education nationale sont des spécialistes) où un graphiste criminel a mis un nez rouge à Baudelaire ou une casquette à Rimbaud pour flatter les goûts de la jeunesse. Je vais dire une platitude : l’auteur classique subit le double effet Kiss Cool. D’abord, il est installé dans un empyrée. Au bout de quelques années ou de quelques siècles, tout le monde fait « ah, celui-là ! ». Surtout, on a l’impression de connaître, même (et surtout j’ai l’impression) quand on n’a pas lu. Donc l’œuvre est dépossédée de son intérêt tout en occupant une espèce de rôle de statue du Commandeur. Et c’est mathématique, une fois que l’œuvre est installée dans cette espèce de rôle, on n’a qu’une hâte, surtout aujourd’hui : la déboulonner, parce qu’elle ne dérange plus. La deuxième raison : jouer avec des classiques, c’est les éprouver. Parfois, le roi est un peu nu, le classique était une arnaque sur certains points, et d’autre fois on est surpris : le vieil oncle endormi...
Entretiens Palmes académiques
juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204
| par
Éric Dussert
Dynamitant l’esprit de sérieux, une professeure de lettres détourne l’histoire littéraire : subversions graves dans les lettres.
Un livre