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Égarés, oubliés Jamais sans son diaire

juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204 | par Éric Dussert

Revuiste invétérée, féministe malicieuse, Marguerite Grépon a été la première à souligner l’intérêt du journal intime.

Il y a des gens que cela tient dès leur plus jeune âge. On sait, par exemple, que Jacques Réda ne pouvait s’en empêcher jusqu’à l’intérieur de la cour de l’école, et même plus tard lorsqu’il dirigera la Nouvelle Revue française… Quelle audace tout de même ! Et quel paradoxe : publier une revue personnelle en secret alors que l’on dirige la plus grande revue littéraire du moment… Il faut une très énergique passion qui ploie tout face à la nécessaire expansion du Verbe pour passer ainsi outre les conventions et les usages. La jeune Marguerite Grépon était, elle aussi, prise assez tôt par la manie revuistique… À peine installée en Indochine où ses parents tentaient de faire pousser une plantation – après avoir perdu leurs vignes en France –, la jeune fille, née le 28 décembre 1891 à Souillac dans le Lot, s’ingénie à rédiger un petit journal qu’elle donne discrètement au planton de service afin qu’il dépose sa production à peine sèche parmi les courriers arrivant de France. Elle aime mystifier sa sœur qui croit dur comme fer que ce curieux journal provient de l’Hexagone…
De retour en France à l’âge de 17 ans, Marguerite s’établit à Marseille (1914) puis à Nice où elle entre aux Beaux-Arts. Elle publie déjà des articles dans la presse locale. Le journalisme la tient, et elle va en faire son gagne-pain, comme elle va faire du féminisme une préoccupation constante, avant que l’écriture intime n’envahisse finalement sa vie. Son premier roman paraît en 1928, c’est La Voyageuse nue (Ferenczi). Ce livre obtient un vif intérêt (malgré ses défauts de jeunesse) parce que la trentenaire y pose une question cardinale : la femme n’a-t-elle pas la capacité de se dépasser en créant ?
Installée à Paris, Marguerite Grépon va militer toute sa vie pour en apporter la preuve. Dès les années 1930, elle multiplie les entretiens, portraits de grandes figures du féminisme de l’époque (de Louise Weiss à Maria Verone), enquête sur la place de la femme dans la société. La Femme de France, magazine prestigieux, lui a ouvert ses portes et elle peut y dresser un bilan perplexe de l’émancipation féminine qui semble connaître un net ralentissement au cours de la décennie. Serait-ce que, la guerre passée, la crise de 1929, rend aux mâles comme aux financiers les commandes sociales ? Face au chômage d’alors, on ne partage plus l’emploi. Les femmes n’ont d’ailleurs toujours pas obtenu le droit de vote. À cinq reprises, les lois votées à la Chambre des députés se sont heurtées au refus du Sénat…
Marguerite Grépon poursuit son labeur : en 1936 elle publie dans Esprit la revue lancée par Emmanuel Mounier quatre ans plus tôt. Plutôt silencieuse durant les années d’Occupation (elle publie toutefois dans La Femme de France en 1943), elle rencontre Simone de Beauvoir après la guerre et collabore aux Temps modernes, puis, à l’instar des grands animateurs littéraires d’avant-guerre (Marcello-Fabri, Beaudouin, etc.), elle multiplie les initiatives : tout d’abord elle fonde la revue littéraire Ariane, cahiers féminins en 1953 – ils perdent leur adjectif militant un peu plus tard. La poétesse Pierre Micheloud est de la partie. Elle avait rencontré Marguerite Grépon grâce à Liliane Gaschet et à Radar, groupe réunissant dans le refus des « déchets du surréalisme », Andrée Chedid, Catherine Paysan, Angèle Vannier, Charles Le Quintrec, Robert Sabatier, le mardi soir, au premier étage du café Bonaparte. Ariane est un espace d’expression pour les femmes qui attribue en outre un prix du journal intime chaque année (Philippe Lejeune lui a consacré un petit essai aux éditions des Cendres en 2004). Marguerite Grépon, qui est diariste elle-même – Journal, Subervie, 1960-1966 (3 volumes) – promeut les poétesses Renée Rivet, Anne-Marie de Backer, Jeanne Kieffer ou Suzanne Arlet. Après plus de quatre-vingts livraisons, la revue disparaît en 1973, quelques années avant la mort à Villeneuve-la-Garenne de la journaliste le 9 mars 1982.
Dans le portrait que dresse d’elle Renée Jardin dans La Femme de France du 29 avril 1934, on devine ce qui fédère autour de Marguerite, ce « feu d’artifice où crépitent les étincelles d’un esprit malicieux ! » Cette femme est un ressort et un sourire. Avec elle « le Féminisme n’a plus rien de rébarbatif ni d’austère. Il n’est plus une religion pour vieilles filles acariâtres ». Et, de fait, elle l’avait écrit elle-même dans un moment d’extra-lucidité enjouée : « Je suis fée avant d’être femme ».
En 1926 déjà, elle avait enthousiasmé Yvonne Schultz avec son étonnant Lotissement-Journal (Éditions du Monde moderne), livre inouï composé d’aphorismes brillants que la jeune femme avait eu le soin de rubriquer comme un journal avec, in fine, des « publicités » composées de sa main – avant elle Franc-Nohain avait tenté l’exercice dans L’Honorable Conque, député (E. Chateroy, 1902), un roman illustré par Hermann-Paul et conçu comme la succession des dix livraisons hebdomadaires de L’Officiel, vrai journal satirique, et Frédéric Dard a repris le fil en imaginant Con Magazine (Fleuve Noir, 1973) cinquante ans plus tard. Mais laissons le dernier mot à Yvonne Schultz : « Cette jeune femme est une nouvelle Marie Bashkirtseff, elle a un visage d’enfant, mais sa pensée rejoint parfois à travers les siècles, par sa profondeur et sa netteté coupante, celle de Pascal et de La Rochefoucauld. » CQFD.
Éric Dussert

Jamais sans son diaire Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°204 , juin 2019.
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