Celui que l’on a appelé assez bêtement le Rimbaud coréen mourut à 26 ans, en 1937, épuisé par la tuberculose, le jour même où les autorités japonaises le libérèrent des accusations d’activités séditieuses. Ce peintre contrarié par son oncle, devenu ingénieur dans l’administration d’architecture à Séoul, va vite abandonner sa carrière pour se donner entièrement à la poésie. Il laisse derrière lui, en à peine plus de dix ans, une œuvre (écrite en japonais puis en coréen) férocement moderne, ultra-contemporaine pourrait-on dire tant elle touche, à quelques années près, l’énergie et l’invention formelle du dadaïsme par exemple, voire appelle la violente ironie du futur mouvement Fluxus. Dès les premières pages le recours que Yi Sang fait de la ritournelle et de l’anaphore (devenu à la fin du XXe siècle une véritable tarte à la crème) a une force inédite tout à fait réjouissante. L’effet domino ajouté à ceux, variés, de la répétition, sont à la limite du non-sens, toujours inappropriables, voire impropres. Les signes mathématiques (des symboles à des numérotations inversées aux équations, etc.), mêlés au langage ordinaire, rapprochent certes deux réalités distinctes et opposées, mais ouvrent surtout dans la phrase de Yi Sang une nonchalance minimaliste qui en fait toute la finesse et l’efficace. Ainsi de cette phrase-fusée : « Quand mon père pique du nez à côté de moi je deviens mon père et encore le père de mon père cependant quant à mon père en tant que père il reste mon père alors comment se fait-il que je devienne toujours le père du père… de mon père pourquoi dois-je enjamber mon père pourquoi (…) » ; ou encore, à la suite d’énigmes numérologiques proches du futuriste Khlebnikov, ce genre d’assertion : « Le cerveau s’est déployé comme un éventail jusqu’à la circonférence, ensuite il a fait une rotation complète ».
E. L.
Plan à vol de corbeau, de Yi Sang
Traduit du coréen et du japonais par Cori Shim & Jean-Yves Darsouze,
avec la participation d’Olivier Gallon, La Barque, 162 pages, 21 €
Poésie Plan à vol de corbeau
septembre 2019 | Le Matricule des Anges n°206
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°206
, septembre 2019.