La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français De père en fille

novembre 2019 | Le Matricule des Anges n°208 | par Anthony Dufraisse

Sous la plume de sa fille Yaël, Pierre Pachet reprend vie et avec lui, l’histoire familiale. Pour panser un peu le manque.

Le Peuple de mon père

Tout en bas de la page 19, quatre petits mots de rien du tout mais qui disent absolument tout : « Il était mon passage. » C’est peut-être la phrase la plus importante, la plus révélatrice de ce livre dans lequel Yaël Pachet raconte son père, Pierre Pachet, disparu en 2016. Quoi de plus beau en effet, quoi de plus fort que cette idée d’une figure paternelle perçue et vécue comme celle d’un être permettant la traversée de l’existence ? Pierre Pachet, est-il besoin de le rappeler, aura été un passeur toute sa vie en tant que professeur, critique, penseur, ce qu’on appelle un intellectuel. Il laisse derrière lui une vingtaine de livres, tous signe d’une pensée sensible, dont le touchant Adieu, évocation de sa femme Soizic morte en 1999. Un titre que Yaël Pachet n’aurait pas pu reprendre à son compte, contrairement à ce que l’on serait tenté de croire a priori.
Car ici il ne s’agit pas d’un adieu, mais tout au contraire d’un effort sans cesse reconduit pour que le deuil devienne un seuil, pour que les vivants laissent ouverte la porte qui les mène aux éternels absents. C’est aussi un autoportrait au miroir de cette relation père–fille, étonnamment qualifié de roman. En titrant son livre Le Peuple de mon père, Yaël Pachet tente surtout de remonter le cours du temps, c’est-à-dire au-delà de son père, en s’intéressant aux générations précédentes venues, comme bien d’autres juifs de l’Est, de ce côté-ci de l’Europe. Ce travail de généalogie prend forcément la forme d’un patchwork : « La fiction familiale ne s’écrit pas, épisode après épisode, dans une connaissance de toutes les circonstances, elle est trouée et discontinue. Ou alors, il faut se résoudre à voir la famille comme un dieu Shiva, agitant ses multiples bras à partir d’un tronc unique, souriant devant la pluralité contradictoire qui le constitue et de nos efforts pour la résumer. »
Pierre Pachet lui-même, dans Autobiographie de mon père, s’était essayé à cette reconstitution historico-géographique : « Notre père était porteur, forcément, d’une mémoire en souffrance, de lacunes, et même d’une absence de tombes », rappelle-t-elle. Au fur et à mesure de ses découvertes, à « fouiller dans le pot des souvenirs familiaux », Yaël Pachet interroge ainsi « l’identité culturelle familiale » (les pages sur la judéité sont parmi les plus profondes du livre), elle en suit les contours, un peu comme l’enfant qui fait courir son doigt sur une carte, suivant le tracé sinueux d’un fleuve. D’ailleurs le livre entier n’est que ça : flux, flot, vague, nappe – de sentiments, d’images – qu’il faut plus ou moins canaliser, dont il faut tant bien que mal orienter le mouvement anarchique vers quelque chose qui serait une pensée. Penser le père pour panser, un peu, le manque (« la force de vidange du manque », écrit-elle à propos de la perte de sa mère, également très présente dans le livre), pour cautériser cette plaie. Penser, c’est-à-dire faire danser les mots, danser avec le mort : « Si je voulais dire l’ambition de mon propos, ce serait de danser une dernière fois avec lui. »
Ce livre au déroulé comme aléatoire, d’une spontanéité qui, au fond, est à l’image de la vie même, tient donc tout autant de la partition polyphonique que du solo. Souvent très poignant, il tire sans cesse Pierre Pachet du côté des vivants, le ramène à la vie, fût-elle celle de ses dernières années, un peu décousues. Il dit avec intelligence et émotion la complicité entre les êtres, l’éloignement, les croisements et tout ce que l’on porte en soi, qu’on le veuille ou non : transmission, héritage, transaction invisible. À un moment, Yaël Pachet écrit : « Mon père est devenu un livre », signalant par là que la dernière image qui lui reste de son père est celle d’un homme qui, lisant, lui semble faire corps avec les mots, l’encre, le papier. Toutes choses dont elle se sera servie pour, à son tour, le faire revivre.

Anthony Dufraisse

Le Peuple de mon père, de Yaël Pachet
Fayard, 270 pages, 18

De père en fille Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°208 , novembre 2019.
LMDA papier n°208
6,50 
LMDA PDF n°208
4,00