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Égarés, oubliés Sans pain

février 2020 | Le Matricule des Anges n°210 | par Éric Dussert

Petit voyou d’autrefois, Auguste Brepson était surtout un enfant de la misère et des travaux de misère. Leçon de vie.

Un Gosse (suivi de) Repue franche

Le 22 janvier 1929, un employé du service du Dépôt légal de la Bibliothèque nationale donne un coup de tampon encreur sur la page de titre que la maison Rieder vient de fournir, ainsi que la loi l’exige. Livre déposé ! Tout est régulier dans le meilleur des mondes administratifs. On se trouve à un pas de la Bourse où le Veau d’or continue de se pourlécher (tous ignorent que le krach aura lieu en octobre). Mais cette date du 22 janvier est terriblement triste car son auteur, Auguste Brepson, est mort depuis près de deux ans. Il n’a pas vu paraître son unique livre, Un gosse, pour lequel il avait tant espéré.
Imprimé à la fin de l’année 1928, le livre fait d’emblée l’effet d’une bombe. Dans Europe, Georges Barbarin écrit : « Un gosse, c’est le drame du pain, la suée d’angoisse sous la pluie, la boue, l’attente, le deuil, les larmes, l’espérance morte, le poêle éteint. Ce livre est de ceux qu’on taille à même sa chair et dont l’odeur d’humanité est chaude et trouble. Il fait honte et il fait pitié. » (15 mai 1929) Et pour enfoncer le clou, Barbarin ajoute, endiablé par l’émotion : « Les snobs se divertissent des errements sexuels de M. de Charlus mais ne s’intéressent pas aux spéculations des humbles. C’est d’ailleurs tant mieux pour les humbles, et c’est tant pis pour les snobs. Pour mille petits heureux on compte cent mille enfants tristes. Tout le monde ne naît pas aux Champs-Elysées ni n’habite près du parc Monceau. »
Auguste Brepson, c’est en effet le môme pas-de-chance.
Sitôt né, il perd sa mère, qui se vide de son sang à la suite de l’accouchement. Il est fils d’un pilote de péniche qui a accosté le 5 juin 1884 à Saint-Ouen – on dit aussi quai d’Austerlitz. Lui, il sera ouvrier, employé et finalement bouquiniste dans le XVe arrondissement de Paris. En attendant, ses premières années sont âpres, et c’est ce qu’il raconte dans Un gosse, son livre devenu un classique de la misère, comme ceux de Neel Doff, des frères Bonneff ou de Lucien Bourgeois. Il est élevé par sa grand-mère maternelle, lavandière. Ils vivent à la campagne avec son oncle amateur de la flâne, puis à Paris parce que ce rêveur est emprisonné un temps pour un vol qu’il n’a pas commis. À sa libération, la famille s’installe à Paris. Sa grand-mère coud, l’oncle travaille pour des forains, c’est l’un des rares moments confortables de son existence. Auguste se souvient des petits-déjeuners déployant leurs odeurs délicieuses.
Cela ne dure évidemment pas : l’oncle, séduit par une belle employée de cirque, part avec elle pour une tournée mondiale qui ne le rendra jamais, quant à sa grand-mère dont la vue baisse, elle est rendue au chômage et vaque autant qu’elle peut : après avoir été ravaudeuse et femme de ménage, elle vend des lacets au marché Saint-Médard, des fleurs qu’elle va chercher dans les bois, elle coud des draps de soldats, trie des chiffons… Auguste se souvient qu’« Elle partait chercher du travail et rentrait à la brume sans en avoir trouvé, et fourbue, sombre, avec toute la crotte de novembre à ses jupes… » La misère s’installe peu à peu et les déménagements conduisent à des logis de plus en plus sordides jusqu’à la célèbre Cité Jeanne-d’Arc, un de ces « îlots insalubres » de sinistre réputation. Son père meurt de la tuberculose à l’hôpital, là-bas, à Rouen, sa grand-mère disparaît à son tour. Il doit dès lors quitter l’école pour gagner sa vie. Sans vraie formation, il trouve des emplois très secondaires : apprenti cordonnier, employé de bureau, représentant…
À l’heure où Ken Loach nous montre avec son film Sorry we missed you tout ce qu’il faut savoir sur l’esclavagisme consenti lorsque les protections des salariés sont annihilées, et tandis que les chauffeurs du prédateur Uber déchantent, enfin dessillés, le parcours d’Auguste Brepson et de sa famille vient à point nous rappeler pourquoi il ne faut surtout pas se départir des règles de droit protégeant le monde du travail malgré les sirènes des « libérateurs » de carcans (qui sont en réalité des libérateurs de dividendes). Car il y a des métiers de pauvres et des métiers de miséreux dès lors que la loi n’impose pas des salaires minimaux et des conditions de travail dignes. Il faut avoir une âme sordide pour ne pas le comprendre malgré les démonstrations.
Auguste Brepson, lui, ne s’en est jamais sorti. Il est mort à 42 ans à Paris, le 8 avril 1927, comme son père, d’une tuberculose aggravée par une existence laborieuse et des privations incessantes. Marié et père de deux enfants, il n’aura connu de bienfaits que ceux qu’il se sera accordés en aimant les livres et, autodidacte, en accumulant les connaissances. Au point qu’il parvient à ouvrir rue Lecourbe une boutique de bouquiniste et parvient à donner quelques contes dans des journaux, comme le Journal des Débats. En revanche, aucun éditeur ne veut de son manuscrit intitulé Un gosse. Il en souffre, en devient amer comme le rappelle son ami André-Charles Mercier, qui souligne ses commentaires réacs sur la littérature de son temps. Par bonheur, son récit paraît en feuilleton dans L’Ère Nouvelle, et grâce à Mercier, romancier en mal d’éditeur lui aussi, qui le fait lire à Jean-Richard Bloch il est retenu par les Éditions Rieder. Le livre paraît début 1929, mais, si sa veuve maintient l’opus en vitrine de sa boutique durant des années, la crise de 29 oriente vite vers les oubliettes cette dernière trace de la vie d’un homme qui avait foi en la littérature et laissait encore, mais on ne les a jamais retrouvées, des notes pour une suite et ses souvenirs de bouquiniste.

Éric Dussert

Un gosse, d’Auguste Brepson
Plein chant, 188 pages, 14

Sans pain Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°210 , février 2020.
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