L’hiver. La saison, le moment, la lumière. La nuit, le froid, le vent. La neige, parfois, le gel. L’enfermement. La solitude. L’hiver, à tenir à distance ou apprivoiser. Comme celui qu’on redoute, ou celui qu’on attend.
Préférer l’hiver, annonce en titre Aurélie Jeannin. Curieuse préférence que celle de cette saison, qui contraint la narratrice et sa mère à s’enfermer, chaque jour de bise glaciale, un plus au fond de la cabane qu’elles occupent depuis maintenant plusieurs années, avec leurs livres pour seule compagnie. Préférer l’hiver ; par goût ? fatalisme ?
Sur le monde des deux femmes pèse une chape de tristesse, d’abandon. Les hommes de la famille ont disparu. Chacune a perdu un fils. Le père les a laissées il y a déjà bien longtemps. Pourquoi, comment ? Les informations filtrent, au compte-gouttes. Trop de douleur, dans ces tragédies intimes, pour qu’on les évoque facilement. Mais chaque souvenir est comme entaché de sa trace de drame. Même le plus lumineux recèle sa part d’ombre. Car il en a fallu, de l’ombre, du silence, de l’envie de retrait du monde, pour conduire à chercher refuge, même pas dans la maison de famille, mais dans la cabane, l’annexe. À l’abri au plus petit, au plus humble, au plus discret. De l’ombre, et puis l’art et la manière d’apprivoiser la nature, la solitude. L’équilibre est fragile. Et l’hiver est le moment particulier qui peut voir l’ensemble voler en éclats.
Aurélie Jeannin mêle drame intime, récit naturaliste, survivaliste parfois, et fait divers. La force de son récit tient à la puissance du huis clos, à l’évocation magnifiée de la nature environnante, chaque bruit, chaque odeur, chaque couleur comme disséqués. L’hiver est ce moment, où l’essentiel vient à se concentrer entre quatre murs. Ou la douleur rejaillit. Et avec elle, la mémoire de ce qui a été, avant que l’oubli envahisse l’espace : « Nous avons été heureux, ensemble et séparément. Oui, je crois. Avec nos complexités associées, nous nous sommes tout de même composé une belle vie. »
Julie Coutu
Préférer l’hiver d’Aurélie Jeannin
Harper Collins, 240 pages, 17 €
Domaine français Préférer l’hiver d’Aurélie Jeannin
mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211
| par
Julie Coutu
Un livre
Préférer l’hiver d’Aurélie Jeannin
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°211
, mars 2020.