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Domaine étranger Corps d’ouvrage

mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211 | par Thierry Guinhut

Gunnar Kaiser célèbre les noces de la reliure et du crime dans un premier roman particulièrement cruel.

Faire coïncider bibliophilie et roman policier paraît une gageure ; à moins de penser à des vols de livres précieux. Également philosophe, le romancier allemand Gunnar Kaiser, né en 1976, va bien plus loin dans l’élaboration de son imaginaire, alternant deux romans d’initiation, dont il entrelace les fils de son intrigue, sensuelle, intellectuelle et terrible…
C’est en 1969 que l’étudiant Jonathan rencontre à New York un étrange homme mûr, Josef Eisenstein. Très vite ce dernier devient son initiateur, d’une part dans la séduction des jeunes filles dont il observe les copulations avec un Jonathan ravi, d’autre part devant sa bibliothèque aux rares volumes soigneusement reliés. Peu à peu les aventures érotiques, et parfois amoureuses, de l’étudiant qui cherche « la fille définitive », ses lectures et ses velléités enthousiastes d’apprenti écrivain, cèdent le pas à une inquiétude récurrente : qui est véritablement son mentor ? En un habile contrepoint, Josef devient le narrateur de sa propre adolescence, qui se déroule dans un tout autre contexte : l’Allemagne des années 30 et la montée du nazisme. Malgré son ascendance juive, Josef, recueilli à Berlin chez une famille allemande et ainsi appelé Schwarzkopf, traverse l’époque sans autre souci que l’hallucinante beauté des livres anciens, comme une Germania de Tacite qu’il vole aux dépens de la délicieuse fille d’un bouquiniste, désespérée au point de se jeter dans la rivière. Bénéficiant lui aussi d’initiateurs, le libraire Abramsky et le relieur Cornelius, sans oublier un tanneur, il n’aura de cesse de faire coïncider ces deux beautés en réalisant des reliures parfaites ; car « ces livres étaient sirènes et Lotophages à la fois  », voire « le livre que tu ouvres et (qui) enlève le péché du monde  ». Aussi, en une montée soigneusement disposée, en un enchaînement épicé jusqu’à l’horreur, devine-t-on qu’il est « L’Écorcheur », qui sème les cadavres jeunes et féminins au service de son art exigeant et cruel. La piste passant par l’Allemagne de l’Est, Israël, enfin l’Argentine en 1990, l’enquête policière devra mettre sous le nez de Jonathan l’évidence pourtant niée.
Gunnar Kaiser excelle dans le thriller intelligent, dépeignant des caractères opposés et divers, une amitié contrecarrée par un abîme éthique, fouillant des passions délétères, non sans érudition bibliophilique, réalisant « les noces du papier et de la peau  », surtout avec le concours des classiques de l’Antiquité. Ainsi l’épiderme d’une danseuse acquiert plus de valeur : « Elle aurait pu danser pendant quelques années et enchanter le public par son art. Mais quel art éphémère cela aurait été comparé à celui qu’elle rendait possible à présent ! » Comme le suggère son titre ambivalent, Dans la peau, il s’agit d’entrer dans celle du personnage, dont le livre-confession du même titre est une habile mise en abyme. Et si le récit de Jonathan paraît plus faible, manquant parfois de tension et de concision, l’on comprend que, frappé « d’impuissance narrative » face à son fantasme de « Grand Roman Américain », cela soit intentionnel, face à la puissance et à l’autorité de celui du criminel, d’ailleurs calligraphié en « Centaur » dans un exemplaire unique.
L’on ne peut s’empêcher de penser à un autre romancier allemand, certes fort différent, Patrick Süskind, dont Le Parfum a marqué à bon droit les esprits. Un tueur poursuivait les jeunes filles pour extraire leur essence enivrante. Ici la perversion ne recule pas devant la réalisation d’un bel exemplaire de Mein Kampf relié « dans la peau » de la fille d’un officier, qui, bien sûr ignore la nature et la provenance d’une si suave reliure à lui vendue. Cependant, si le roman de Gunnar Kaiser est digne d’être relié, lui faudra-t-il une moins inhumaine peau ?
Thierry Guinhut

Dans la peau, de Gunnar Kaiser
Traduit de l’allemand par Yasmin
Hoffmann, Fayard, 512 pages, 24

Corps d’ouvrage Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°211 , mars 2020.
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