Dans son cinquième roman (le dernier en date était À l’aide ou le rapport W), Emmanuelle Heidsieck nous en raconte de bien belles. Elle nous parle du triste sort de ceux (et celles) qu’elle appelle les « BG », pour beaux/belles gosses. On pourrait aussi bien les baptiser les BCBG, beaux corps-belles gueules. Ces gens-là ont un gros problème : leur « indice d’attractivité faciale » est trop élevé. Ça les dessert, notamment dans leur carrière. « Cet atout est aussi une plaie. » Non ? Si ! Certain(e)s vont même jusqu’à réclamer justice pour obtenir réparation ; ainsi Marco Bueli, ce personnage d’ingénieur trentenaire ventriloqué par l’auteure, que l’on suit avant son passage aux prud’hommes. « Il a porté plainte contre son employeur pour discrimination fondée sur l’apparence physique. » Un physique de jeune premier, « du genre Pierre Niney (…), très mince, mèches brunes désordonnées, yeux de daim, long nez fin, certains disent efféminé ». On l’aura compris, Emmanuelle Heidsieck joue à plein dans le registre de l’ironie. Grinçante, l’ironie. Et politique aussi, si on y réfléchit bien. Sous couvert de sarcasme, elle dénonce les travers d’un système où, au nom de la lutte contre la discrimination, on touche à l’absurde dans certains cas (comme on peut le voir bien souvent déjà dans les prétoires américains). La victimisation – presque une discipline sportive chez nous – mine de plus en plus la société française. Pour une situation légitime, combien d’autres sont complètement fantaisistes ou fantasmées ?! Cette concurrence des souffrances, qui confine parfois au loufoque (les scènes concernant le groupe de parole auquel participe Bueli l’éphèbe sont très drôles), traduit une irrésistible, et risible !, montée de l’individualisme. Et une perte, ubuesque, des repères identitaires aussi bien. Comment faire société si chacun se croit lésé ? Bref, voilà un petit livre rondement mené qui, au fond, interroge les tensions de notre appartenance collective.
Anthony Dufraisse
Trop beau, d’Emmanuelle Heidsieck
Éditions du Faubourg, 113 pages, 15 €
Domaine français Trop beau
mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le Matricule des Anges n°211
, mars 2020.