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Domaine français Le temps est un artiste barbare

septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216 | par Richard Blin

Dans un livre qui associe, connecte, relie, articule, c’est la vie à l’épreuve du temps, comme le temps à l’épreuve de la vie, que sonde Bruno Remaury.

Rien pour demain

Bruno Remaury est un écrivain qui nous parle de la réalité avec la violence qui est celle de la réalité. Après s’être intéressé, dans Le Monde horizontal (Corti, 2019), à l’évolution de notre rapport au monde, à la façon dont on était passé de la verticalité des astres et des dieux du début des temps, à l’horizontalité si caractéristique de notre civilisation, c’est à notre rapport au temps, à la façon dont a évolué la manière dont nous pensons le cours des choses, qu’il s’attache dans Rien pour demain.
Un livre dont les premières pages nous plongent dans la nuit de la guerre, celle de 14-18, cette « boucherie sans nom » où l’on vit au jour le jour, et où tout n’est qu’« attente démesurée soudain coupée de minutes fracassantes ». Une guerre dont beaucoup ne revinrent pas comme le poète Jean de Mirmont, tué deux mois jour pour jour après son arrivée sur le front. Pour lui tout s’est arrêté, comme pour sa mère, sauf que pour elle « tout pourtant a continué, tout et rien ». On peut cesser de vivre avant de cesser d’exister.
Fidèle à sa technique de narration faite de rapprochements, de convergences, de fragments qui s’enchaînent selon les principes de l’association – la ressemblance, la contiguïté dans le temps ou l’espace, le lien de la cause et de l’effet –, Bruno Remaury nous entraîne dans un parcours dont chaque étape est un caillou blanc sur le chemin qui a conduit le cours du monde, de cyclique et immuable qu’il était, à devenir linéaire et progressif, avant de basculer dans le présent permanent de notre modernité. « Rien pour demain, rien pour hier, tout pour aujourd’hui », comme disaient les dadaïstes.
Un changement progressif d’horizon qui s’articule autour des différents visages qu’a pris le temps. Un temps cyclique d’abord, fondé sur la répétition des rythmes naturels, où tout n’est que recommencements. Mais ce monde immobile va basculer, avec Galilée, dans un mouvement permanent. « Plus la Terre tournait rond, plus le cours des choses s’était mis à aller droit (…), à tendre vers quelque chose. » À aller vers le futur, et son corollaire, le progrès. De cyclique, le temps s’est mué en temps ouvert, en temps qui s’écoule, ce que l’astrophysicien Eddington nomma, en 1927, « la Flèche du Temps ». Ce qui revient à nous dire qu’« il faut s’accomplir, exister, devenir, même si on n’est pas très sûr de savoir quoi et comment ».
Avec cette idée que le temps avance et que si on ne le rattrape pas, tout se fera sans nous, cette flèche du temps est devenue synonyme de vitesse, de développement, de compétitivité, de croissance, cette « nouvelle éternité ». D’où la mise en place du chronométrage, du travail à la chaîne. Le temps devient marchandise, il est la base du calcul de l’exploitation du travail. Tout s’accélère même si le phénomène n’est pas nouveau comme a pu le constater John Herschel, en 1837, en observant l’étoile Eta Carinae en train de se consumer au fond de la voie lactée, il y a plus de dix mille ans. Ce qu’il voit est exactement ce qu’imagine, au même moment, Edgard Poe dans la Conversation d’Eiros avec Charmion. Oui, les mondes s’abîment, les astres, comme les hommes, naissent, vivent, meurent.
Au moment où Herschel enregistre pour la première fois la mort d’un astre, Daguerre fixe pour la première fois, les traits d’un vivant, signant le premier de tous les portraits photographiques, qui sont autant de tentatives de « franchir le temps ». Succession continuelle, cours du monde, la modernité ne fait qu’accélérer « les conditions d’une destruction du monde tout en sacralisant les images, renforçant ainsi le vertigineux spectacle de sa disparition ». Un processus d’accélération qu’on peut suivre à la trace comme en cette année 1909, qui voit Marinetti publier le Manifeste du futurisme au moment même où le temps cosmique et impérial de la Chine ancienne commence à s’effondrer, et où, de l’autre côté de l’Europe, James Matthew Barrie achève d’écrire l’ultime version des aventures d’un jeune héros, Peter Pan, le garçon qui ne veut pas grandir et qui personnifie le visage même de la modernité. Comme elle, il refuse le temps qui passe, il ne veut pas vieillir. Point de lendemain, tout dans l’instant.
De ce temps moderne, de notre aliénation à ce « présent permanent », de cette temporalité écrasée dans l’immédiat, Bruno Remaury fait chronique, sur fond de mélancolie diffuse. Un livre-tapisserie brodé non pas de concepts abstraits mais de chair vivante et des fils d’or de la lucidité. Tramé aussi de la volupté noire de celui qui sait et qui sent, tout ensemble, mais sans jamais céder au nihilisme.

Richard Blin

Rien pour demain
Bruno Remaury
Corti, 174 pages, 17,50

Le temps est un artiste barbare Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°216 , septembre 2020.
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