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Domaine français Une voix d’outre-enfance

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217 | par Thierry Cecille

Oscar Lalo invente une langue vive pour une survivante qui se délivre du silence : une enfant SS, oxymore diabolique.

La Race des orphelins

L’Histoire, même celle des totalitarismes, a ses recoins secrets, ses caves obscures, où l’on dissimule des victimes gênantes, dont on se détourne avec une pitié mêlée de dégoût, une tristesse pleine de mépris contenu. Ainsi les enfants des Lebensborn sont-ils peut-être les preuves les plus embarrassantes de la folie nazie, les intouchables de ce régime. Cette association (sic), pilotée par Himmler en personne, nommée fontaine de vie (Victor Klemperer a bien décrypté les tours et détours de la langue du Troisième Reich, ses euphémismes, ses antiphrases et ses hyperboles) se donnait pour but la promotion de la race millénaire : on sélectionnait des pères SS, des mères aryennes, on volait, en Pologne, dans les pays baltes et en Ukraine, des enfants qui correspondaient (bien qu’ils fussent nés de parents sous-humains) aux critères de cet eugénisme forcené.
Bohumil Hrabal (Moi qui ai servi le roi d’Angleterre) et Nancy Huston (Lignes de faille) avaient tenté, chacun à sa manière, de retracer les destins de certains de ces enfants maudits. À son tour le Suisse Oscar Lalo relève aujourd’hui ce défi d’une manière – si l’on ose dire en considération du thème – réjouissante. Il évite en effet tous les pièges, de la compassion larmoyante ou du constat cynique, de la distance froide ou de l’ironie facile – et y parvient principalement grâce à l’invention d’une voix narrative surprenante. La narratrice, en effet, nous avertit dès l’incipit : « Je m’appelle Hildegarde Müller. Ceci est mon journal. Mon journal a de particulier que ça n’est pas moi qui l’écris. J’ai engagé un écrivain, un scribe ; un traducteur en quelque sorte. Il traduit ma vie en mots. » Le livre est alors composé tout entier de paragraphes qui n’excèdent jamais la longueur d’une page et ne font parfois que quelques lignes, comme si chaque page correspondait à une journée de ce journal dicté, exposant l’intime jour après jour, en un effort toujours recommencé, une reprise du souffle continuelle. Hildegarde Müller tente alors d’enquêter sur elle-même, de recoller les morceaux du puzzle fou que fut sa vie, fabriquée dans cette usine aux Surhommes. Elle ne sait quasiment rien de sa naissance, de ses parents, sa seule certitude est que le sang qui coule en elle est celui d’un homme-bourreau SS et d’une femme-victime des SS : « J’ai soixante-seize ans. Je sais à peine lire et écrire. Je devais être la gloire de l’humanité. J’en suis la lie  ».
Est-ce dû au fait d’avoir vécu, jusque-là, sa vie murée dans le silence en « béton armé par le Reich  », est-ce l’approche de la mort qui délivre sa langue jusque-là liée, toujours est-il que cette voix, loin d’être hésitante, attaque, mord, joue avec les mots avec une alacrité réjouissante (nous pensons alors à certains des personnages narrateurs de Gary-Ajar, le Momo de La Vie devant soi ou le commissaire ex-nazi fort perturbé de La Danse de Gengis Cohn). La parole est une plaie vive, à vif : « Ce journal est une tentative pour naître par voie orale » et l’écriture met en forme les phrases qui se pressent : « J’appelle mon Scribe Suisse mon SS. J’ai besoin qu’il soit un monstre froid. (…) Un piano mécanique. Sans musique. Un piano à mots. Je mélodise. Il harmonise. Il accompagne mon filet de voix. Il me fait résonner. » La provocation est peut-être alors la condition de sa survie. Ainsi va-t-elle jusqu’à se présenter comme la sœur – damnée – d’Anne Frank, rappelant Celan : « Margarete, c’est moi. Sulamith, c’est Anne Frank ». Elle se demande si son véritable père, son Créateur, n’est pas Himmler et fait l’hypothèse que « la seule race que les SS aient créée est la race des orphelins ». Elle imagine que c’est l’impuissance du Führer qui explique cette ubris raciste : les SS furent alors non « ses hommes de main  » mais « ses hommes de sexe », « SexeS ». Si Oscar Lalo sait disposer avec maîtrise, tout au long de ces pages, les détails historiques nécessaires, nul doute que c’est surtout cette voix, à la fois révoltée et terrifiée, qui nous happe : « Nous sommes l’échantillon toujours en vie de la faillite de l’Allemagne nazie. Nous sommes le futur de l’inhumanité  ».

Thierry Cecille

La Race des orphelins
Oscar Lalo
Belfond, 279 pages, 18

Une voix d’outre-enfance Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
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