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Domaine français Opération sauvetage

mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221 | par Anthony Dufraisse

Dans un recueil de textes sensibles, Leslie Kaplan raconte comment ne pas capituler devant la réalité.

L' Aplatissement de la terre suivi de Monde et son contraire

Comment résister au monde qui s’impose à nous ? Comment aller contre l’idéologie dominante – et pas seulement sanitaire – qui écrase, arase, uniformise tout ? Comment habiter ce monde déguisé en poule sans tête, mais qui continue de courir, en tous sens ? Telles sont les questions qui traversent le nouveau livre de Leslie Kaplan, un ensemble de cinq textes, une série d’opus tantôt épidermiques, tantôt introspectifs, toujours subtilement forts. La première des réponses que l’auteure formule c’est, fondamentalement, un refus de la fatalité devant « le danger (qui) est toujours là/à la fois extérieur et intérieur/dans le monde et en soi ». Refus de la résignation, pas de capitulation surtout, devant une société « complètement malade », une civilisation en proie à la folie. Refus de regarder passivement, en spectateur du monde médiatiquement surexposé, « la guerre que nous vivons dans chacune de nos vies aujourd’hui ». À la réduction du monde – ce qu’elle appelle « l’aplatissement » dans le titre – Leslie Klapan oppose une résistance par la distance, le détachement, le dépaysement. Il s’agit de se désengluer du réel, d’entrouvrir la cage du hamster que la société de consommation, et désormais de vrai-faux confinement, tente de faire de chacun de nous. Cet impératif du pas de côté, plusieurs personnages, comme autant de porte-paroles modestes, l’incarnent, le mettent en pratique. À travers notamment cette femme qui aime passionnément le cinéma ou cet homme qui s’émerveille du regard ébloui qu’une fillette porte sur le monde au jour le jour, ce sont des présences au monde, frémissantes d’émotions toutes, qui se dessinent.
Contre une époque qui horizontalise l’existence, Leslie Kaplan esquisse donc des échappées belles, en appelle à retrouver une profondeur en soi, à cultiver des sensations. Les songes, les films, les livres, la musique aussi bien, constituent autant d’occasions de trouver des « issues », terme cher à Kafka qui s’y connaissait mieux que quiconque en système grotesque et oppressant au point de donner naissance, avec ses romans, à l’adjectif kafkaïen… La rêverie, le cinéma, la lecture, toutes choses qui ouvrent à l’intériorisation, qui œuvrent à la rencontre ; des passions fixes qui permettent de donner un sens à l’existence, de lui trouver sa fréquence propre. Ce sont là « petits cailloux » et « brins d’herbe » à collectionner dans sa boîte mentale. « Tous les petits cailloux au bord du chemin, tous ils ont un sens, une valeur, le plus petit caillou… », dit un personnage de comédien dont la vie désenchantée est comme en attente de signes. Il semble prendre conscience que la moindre épiphanie quotidienne est un caillou jeté dans un bassin formant de grands cercles à la surface de l’eau. Au fond, c’est de ça que Leslie Kaplan nous parle : de ces ondes, de ces vibrations qui brouillent l’apparente placidité de la réalité. Effet papillon, effet domino : « L’art est dans la vie (…)/quand on invente quelque chose/peut-être une virgule/cette chose est en rapport/avec la vie, le monde/et la vie, le monde/la prend, cette chose/la tourne/et la retourne/et la renvoie/et ainsi de suite ». On peut lire dans ces mots-là l’élément principiel de la création selon l’auteure, le nerf de la guerre qu’elle mène depuis le monde contre le monde.
Dans « Le Monde et son contraire », monologue qui clôt le livre, nous avons une défense et une illustration supplémentaire, et exemplaire, de ce principe créatif. Un comédien, encore, se nourrit de sa lecture de Kafka. Ce n’est pas par hasard qu’on évoquait plus haut la figure de l’écrivain praguois ; car le cas Kafka – son univers, ses histoires… – nous montre « comment on peut faire sien/un ordre arbitraire/un ordre dépourvu de sens ». Toute ressemblance avec la situation présente n’est évidemment pas fortuite, et Kaplan célèbre, à travers ce dernier porte-voix, la dignité qu’il y a à affronter chaque jour l’absurde. Hybride, entre poésie et théâtre, ce corpus pluriel apparaît in fine comme une recherche éperdue d’un sens à la vie, une tentative de sauvetage de l’être-au-monde.

Anthony Dufraisse

L’Aplatissement de la Terre
Leslie Kaplan
P.O.L, 229 pages, 15

Opération sauvetage Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°221 , mars 2021.
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