Ce livre non seulement fait l’apologie des relations sexuelles avec des enfants et de l’inceste (…) non seulement glorifie la fellation, le cunnilingus et la sodomie, mais renvoie également une image positive d’actes sexuels déviants et pathologiques. L’excitation sexuelle est renforcée par les pratiques sadomasochistes. (…) Les éléments stylistiques ne rehaussent pas le niveau du livre pour en faire un objet d’art. Le parler du caniveau, s’il est pittoresque, excitant, reste pourtant banal, trivial et ne suffit pas à conférer la moindre qualité artistique à ce roman. » Cent trente ans après les procès pour outrage à la morale publique des Fleurs du mal et de Madame Bovary, c’est ainsi qu’est jugé et condamné le roman de Kathy Acker, en 1986, par l’office fédéral de contrôle des médias pour la protection de la jeunesse (sic), en Allemagne. S’il est juste de placer au premier plan la thématique sexuelle ainsi détaillée, le reste du jugement témoigne d’un aveuglement consternant ou d’une mauvaise foi insigne. Nulle apologie, ici, nulle glorification puisque le sexe, loin de procurer la joie, s’apparente en ces pages, plutôt, à un appétit destructeur ou à une colère enragée. Nulle excitation mais un désespoir entêtant. Quant à la pédophilie, l’inceste et le sadomasochisme, ils font figure de fantasmes voire de simples schèmes narratifs. La langue, enfin, est bien éloignée de toute banalité : mêlant les registres, de l’argot au pastiche de l’élégie romaine, passant sans crier gare de la saynète comique et de la diatribe satirique au lyrisme, elle est sans cesse malmenée, malaxée, torturée – loin de toute trivialité.
De quoi s’agit-il ? Le titre est assez surprenant puisque de lycée il ne sera pas question et encore moins de quelque récit d’amours adolescentes. Nul risque que Netflix ne transforme ces pages en une série pour teenagers ! L’héroïne, Janey, âgée de 10 ou 12 ans au début, quitte son père-amant pour s’installer à New York, y fréquente des paumés et drogués, devient une sorte d’apprentie-putain aux ordres d’un vieux Persan puis, atteinte d’un cancer, elle décide d’aller à Tanger pour rencontrer Jean Genet, l’accompagne quelque temps avant de mourir… à Louxor. Alors que dans Don Quichotte (voir Lmda N°113), les deux avatars des personnages de Cervantès vivaient bien quelques aventures notables, les péripéties, ici, loin de constituer une intrigue, occupent en vérité peu de place dans ce qui s’apparente à une longue méditation-éructation, à un poème en prose éruptive (saluons le travail de traduction de Claro, qui dut s’enthousiasmer et souffrir). Le livre lui-même est un objet insolite : la typographie varie, on découvre des dessins enfantins mais obscènes, puis des poèmes assez rudimentaires en persan, puis des reproductions en couleur de paysages mystérieux nommés « map of my dreams ».
Bien évidemment le lecteur doit ici se risquer, s’adapter, s’efforcer. Comme dans certaines œuvres bouleversées et bouleversantes de...
Événement & Grand Fonds Hard corps
mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221
| par
Thierry Cecille
La réédition d’une des premières œuvres de Kathy Acker, Sang et stupre au lycée, nous offre une expérience de lecture rare et éprouvante, une odyssée psychédélique et violente.
Un livre