De la guerre et de l’esclavage, comment faire un récit qui soit une ode à la vie, un roman d’aventure, une provocante dénonciation, une tragédie moqueuse ? Il faut s’appeler Baraka Sakin. Chroniqueur formidable de la guerre du Darfour, cette province du Soudan ravagée par les hordes de janjawids, mercenaires à la cruauté sans limites, le romancier met en scène une jeune femme, survivante du massacre de son village, et qui va se muer en guerrière vengeresse. Dotée d’un prénom d’homme, Abderahman, d’une énergie et d’une beauté singulières, elle rejoint les troupes rebelles, menées par Charon, chef militaire à l’esprit subtil et fan de Che Guevara.
On suit les pérégrinations de l’implacable amazone et celles du mari qu’elle s’est choisi, l’infortuné Shikiri, pacifiste enrôlé de force dans l’armée gouvernementale et qui passe son temps à fuir les combats, aux côtés de son ami Ibrahim Khidir. Ce dernier est un intellectuel – d’autant plus suspect aux yeux des autorités qu’il est aussi un descendant d’esclaves : c’est donc un « nègre », et « sans l’intervention des Britanniques, toute sa famille serait encore en servage », regrette à voix haute un officier, persuadé qu’Ibrahim a adopté « des idées néfastes comme le communisme ou le républicanisme ». Shikiri est stupéfait. Son ami n’a-t-il pas la « peau claire et éclatante » et des « cheveux lisses » ? N’appartient-il pas, de ce fait, « à la communauté pouvant qualifier les autres de nègres et non l’inverse » ?
Il y a du Voltaire et du Cervantès dans l’écriture de Baraka Sakin, qui n’a pas son pareil pour éclairer les complexités de l’histoire du Soudan, du Darfour en particulier, ce vivier à esclaves – et donc à métissages. Il y a aussi du Mohamed Taha, cet intellectuel soudanais « exécuté pour ses interprétations jugées trop libérales de l’islam », apprend-on au passage.
Victimes des janjawids, ces « Arabes étrangers venus du Tchad, du Niger, du Nigeria et du désert mauritanien », afin de chasser de leurs terres ancestrales les tribus autochtones, les gens résistent ou se suicident, beaucoup fuient. Et renaissent parfois. À l’image d’Abderahman ou de tante Kharifiyya. Malgré la férocité des tueurs, qui violent, brûlent et décapitent comme on se mouche. Ou des charpentiers, sommés, au début du roman, de clouer sur sa croix un type pas net nommé Jésus, et qui finissent par l’aduler et partir avec lui, aux dernières pages du récit, en une fraternelle et surréaliste procession… Abdelaziz Baraka Sakin, dont seuls deux livres, excellemment traduits, Le Messie du Darfour (publié en 2012, traduit en 2016, qui ressort aujourd’hui en poche) et Les Jango (Prix de la littérature arabe, traduit en 2020) ont été édités en France, vit désormais en exil en Europe.
Catherine Simon
Le Messie du Darfour
Abdelaziz Baraka Sakin
Traduit de l’arabe (Soudan) par Xavier Luffin
Zulma poche, 176 pages, 8,95 €
Poches Darfour en noir et sang
avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222
| par
Catherine Simon
Baraka Sakin n’a pas son pareil pour éclairer les complexités de l’histoire du Soudan.
Un livre
Darfour en noir et sang
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°222
, avril 2021.