Dans les hauteurs d’un village environné de montagnes, une fillette est découverte dans une grotte. Toute l’attention des habitants se tourne alors vers le fils de Mariette, un simple d’esprit surnommé l’Ours, vivant dans l’isolement le plus complet non loin de ladite grotte. S’agit-il d’un enlèvement ? Serait-elle sa fille ? Ou bien sa sœur ? Les rumeurs vont bon train. Chacun à leur tour, les villageois se confient sur l’affaire auprès d’un interlocuteur silencieux, que l’on devine appartenir à la police. Leurs monologues se succèdent, dressant un portrait biaisé, contradictoire, multiple, de ce fameux Ours. Sa professeure, un voisin, le boulanger, le postier : tous ces êtres radicalement différents, uniquement reliés par Ourdouch, ce lieu rural et retiré (« Ici tout est mélangé. Il peut arriver n’importe qui. Avec n’importe quel parcours de vie. À la fin, d’ailleurs, on sait plus qui vient d’où »), s’expriment. L’Ours est tour à tour décrit comme un homme dangereux à la silhouette disproportionnée, un être fragile et attentionné, un guérisseur aux pouvoirs mystérieux (« C’est comme s’il était une vache dans les vaches. Non, c’est même pas exactement ça. Plutôt comme s’il était le dieu des vaches, vous voyez. »). Les croyances locales se défont peu à peu : l’origine de l’appellation de l’Ours, au-delà de sa force physique, se dévoile (« les enfants sans père sont des fils de l’ours, c’est comme ça »), la légende de la grotte et des fées qui y recueilleraient les enfants abandonnés resurgit dans les esprits. Ces prises de parole pleines de préjugés, d’authenticité ou de simplicité, c’est selon, sont entrecoupées de lignes poétiques rendant hommage aux créatures fabuleuses qu’elles convoquent. Derrière le village que nous peint Violaine Bérot, tout à la fois enclavé et affranchi, se dessine une réflexion profonde sur l’injonction à la normalité qui régit nos sociétés. Comme des bêtes ouvre la voie à « certaines voix / discordantes / dissonantes / les voix de certains normaux / anormalement normés ».
Camille Cloarec
Comme des bêtes
Violaine Bérot
Buchet-Chastel, 160 pages, 14 €
Domaine étranger Comme des bêtes
mai 2021 | Le Matricule des Anges n°223
| par
Camille Cloarec
Un livre
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°223
, mai 2021.