De la belle aube au triste soir
Dans De face sur la photo, la grande romancière Ronit Matalon déchiffrait, à travers des photos de famille, le passé colonial de Juifs d’Égypte, devenus commerçants au Cameroun. Ici, nous sommes en Algérie, avec beaucoup d’images aussi. Mais, bien qu’un poème d’Apollinaire ait inspiré le titre du livre, l’auteure, Isabelle Cousteaux, ne prétend pas faire œuvre littéraire : fruit d’une enquête journalistique, De la belle aube au triste soir retrace, sur la base de documents privés, la saga d’une famille de pieds-noirs et, plus précisément, la tendre histoire de Léa et Georges Mauriès, couple de colons des années 1940, que l’Histoire (avec sa grande hache) transformera en tragédie. Agriculteur modèle, patron dur à la tâche, Georges – qui a un frère commissaire de police – sera assassiné par le FLN, en janvier 1957.
Pour nourrir son récit, l’auteure a eu accès au journal de Léa – institutrice et grande lectrice, celle-ci écrivait beaucoup –, mais aussi aux photos et petits films de famille, commentés et contextualisés. Elle s’appuie également sur les témoignages des enfants Mauriès. Sans oublier les archives françaises et les ouvrages d’historiens, Français pour la plupart, comme Meynier, Stora ou Thénault, qui légitiment et éclairent son propos.
Le résultat est un étrange et troublant roman familial, reconstitué avec minutie, dans son décor d’époque. Étrange, car l’auteure et les Mauriès n’ont pas de liens familiaux. L’exercice est celui du griot. Troublant, car ce récit, émouvant, est aussi terriblement bancal : dans ce pan d’Algérie « française » qui nous est donné à voir, les Algériens (écoliers arabes, ouvriers agricoles, membres du FLN, etc.) ne sont que des silhouettes, sans visages ni pensées. Reste, heureusement, la figure de Léa, magnifique et banale, qui dit la noirceur de cette France, et que l’on garde en tête, longtemps après avoir refermé le livre.
Catherine Simon
De la belle aube au triste soir.
L’histoire d’une famille française en Algérie, 1830-1962
Isabelle Cousteaux
La Manufacture de livres, 380 pages, 29 €