Les forêts qui entourent Balåliden, le petit village du nord de la Suède où vit encore de temps à autre Stina Stoor, appartiennent au comté de Västerbotten. C’est une région éminemment littéraire qui a vu se développer les œuvres de Sara Lidman, de Per Olov Enquist ou de Torgny Lindgren. Le talent y serait-il plus répandu qu’ailleurs ? La grâce et la vitalité c’est fort probable si l’on en croit les neuf nouvelles de Sois sage, bordel ! Parmi celles-ci, on note « Pas d’ici », le texte qui lui a valu en 2012 le premier prix littéraire de sa jeune carrière – qui n’a cessé depuis de lui valoir récompense sur récompense. Pour commencer, vous constaterez que faire pousser des lauriers dans la forêt septentrionale entre dans la catégorie de l’incongru… Mais Stina Stoor n’est pas une auteure comme tout le monde. C’est une fille de Balåliden, plantée dans sa réserve, dans un pays de forêts et de rivières, où la faune sauvage s’ébat sans prêter trop attention à l’être humain. Les filles de là-bas ne sont censément pas tout à fait comme celles que vous connaissez en milieu urbain. Ce sont des coureuses de bois en pantalon de sécurité rouge sang, des trubliones qui se coltinent à l’occasion des personnages frustes, des situations brutales, et assistent à des transformations scabreuses. Une fillette se change aisément en plantigrade… « C’était l’époque de l’année où tous les enfants se transformaient en ours et vivaient de baies et d’eau fraîche » (« L’âge des ours »). En somme, la vie ne s’exempte jamais du carnage. « Je fixais du regard les chiens derrière le grillage, qui me fixaient à leur tour. Des filets de bave coulaient de leur gueule. Au passage de la voiture du facteur, ils s’élançaient contre le grillage métallique qui, encore longtemps après, vibrait et grinçait plaintivement. Ce n’était plus des joujoux au museau humide, mais une meute excitée. Un chœur de lamentations. Un tribunal unanime. Une machine à tuer. »
Traduit par Elena Balzamo, auteure fétiche de la maison Marie Barbier (Triangle isocèle, 2019), Sois sage, bordel ! appartient à cette catégorie de livres imparables dont l’effet surprend encore après-coup. Cela tient à ce que la vie y est révélée troublante, cruelle, et d’une cruauté impassible, inéluctable, sans intention. Tout le contraire de la vie sociale. On ne passe guère son temps à « faire affaire » chez Stina Stoor : on vit, on observe pour apprendre et survivre, les faits sont énoncés avec simplicité, le lecteur reste concentré sur des mouvements essentiels et se laisse emporter par l’énergie de la nouvelliste, étonnante de fraîcheur et d’allant.
« La nappe cirée à rayures jaunes est piquée de petits trous de brûlures. C’est rigolo d’y enfoncer de vieilles miettes. Ça devient un peu un jeu. Après, c’est tout bosselé en dessous, comme pour toujours, si bien que les verres ne tiennent plus droit. Mais ça ne fait rien, il n’y a qu’Anneli qui râle. » Puits sombre, lingot d’or, Maison du destin, poussées d’acné, mère en maillot de bain, feuilles, humus, animaux, père célibataire dépassé, une enfance s’envole allègrement avec les nouvelles de Stina Stoor.
Éric Dussert
Sois sage, bordel !
Stina Stoor
Traduit du suédois sous la direction d’Elena Balzamo
Marie Barbier éditions, 152 pages, 12 €
Domaine étranger Fille des bois
mai 2021 | Le Matricule des Anges n°223
| par
Éric Dussert
Nées de la sylve, les nouvelles de la Suédoise Stina Stoor enthousiasment par leur clairvoyante et simple vivacité.
Un livre
Fille des bois
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°223
, mai 2021.