Jean-Pierre Georges appartient à la catégorie des humains perplexes et lucides, donc sans illusion. Pour autant, il manifeste l’opiniâtre volonté de ne pas laisser passer les jours sans en noter les variations et les couleurs. Tout retraité qu’il est, il se vit préoccupé parce que la vie passe très vite (il nous prévient au passage qu’il n’aura pas le temps d’écrire son Adieu aux glycines, on l’en blâme ici). Il en reste attristé, déterminé cependant à ne pas s’illusionner sur sa condition : le « Pauvre H. » connaît en effet son sort désarmé, mais contrairement à certains de ses collègues écrivains, n’en tire pas gloire. Ce n’est pas lui qui va féconder ses pages d’un nihilisme de contrebande. Non, il a fait ce qu’il a pu, pas grand-chose à son goût, et se débrouille avec ce constat décevant : « Je suis le poisson rouge qui n’a toujours pas exploré son bocal. » Fruit de son exploration, les commentaires et aphorismes qu’il a accumulés forment toutefois – après L’Éphémère dure toujours (2010) et Jamais mieux (2016) par exemple – une réserve de sagesses dont on ne sort pas sans effort car le plaisir de lecture est intense.
Rouspétant, volubile ou accablé, Jean-Pierre Georges est un amusant personnage. Adepte de l’auto-ironie, il se juge sans excuses tout en observant le déclin de l’âge aux effets tue-la-gloire : « Mon corps veut ma peau. » Il commente aussi ses lectures, la vie sociale et culturelle. Avec une malice désabusée, il désigne les ponts-aux-ânes de l’époque, ce fameux séjour en Sibérie à la mode, l’égofiction (« jouissance d’enfant sur son pot ») et songe à son « œuvrette » qui n’est pas si mince à vrai dire. Adepte du détachement, Jean-Pierre Georges est en réalité notre poète le plus bouddhiste. Son propos tend au retrait, son karma a la légèreté de la plume. Tout porte à croire que ses pages douces-amères visent l’aporie du moment fatal, et il les signe avec un sourire en coin qui passerait presque inaperçu : « On t’a donné un costume de vivant tout neuf, et regarde dans quel état tu l’as mis ! »
Éric Dussert
Pauvre H.,
Jean-Pierre Georges
Tarabuste, 220 pages, 16 €
Domaine français Un costume d’être humain
juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224
| par
Éric Dussert
Un livre
Un costume d’être humain
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°224
, juin 2021.