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Poésie Ouvrir sur un au-delà de soi

juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224 | par Richard Blin

Amy Clampitt, une poète de la lignée de Gerard Manley Hopkins, explore la beauté du monde naturel et les souvenirs d’une enfance au cœur du Midwest.

Un silence s’ouvre

Le poète est responsable du choix de ses moyens, des angles de perspective qu’il risque, des effets propres de ses attaques. Celle d’Un silence s’ouvre, le cinquième et dernier livre d’Amy Clampitt (1920-1994), dont l’œuvre se concentre sur une quinzaine d’années, est placée sous l’égide du « syrinx », c’est-à-dire des cordes vocales de l’oiseau, et de la « syntaxe », autrement dit des règles qui président à cette « forme d’expression plus noble » qu’est notre langage. Mais, « dans la détresse », elle est, cette syntaxe, «  première à être jetée par-dessus bord », au bénéfice d’une voix, d’un souffle, qui finalement ne veut plus rien dire. Au seuil du livre, c’est donc son attachement au chant tout autant que sa volonté de faire face au réel même de ce qui la menace, un cancer ovarien dont on vient de lui révéler l’existence, qu’affiche Clampitt. Écrit sous la menace d’un « hiver imminent », au bord d’un silence qui s’ouvre, d’une vie qui arrive à bout de souffle, son livre est un florilège d’images, de lieux remémorés, d’évocations témoignant d’une connaissance sans illusion du réel le plus poignant, mais aussi d’une vraie confiance dans les dispositifs poétiques, d’une foi en leurs pouvoirs d’éloignement – au moins momentané – des puissances fatales.
Un livre où elle choisit ses signes, oriente, fait valoir, prend parti, s’efforce de penser le réel avec loyauté en lui restituant sa part terrible, en se glissant sous « le chapiteau ombreux et prédateur / connu sous le nom d’Histoire ». Qu’elle flâne sur l’emplacement d’un ancien cimetière d’esclaves, qu’elle revisite l’histoire de Matoaka – cette « princesse barbare » plus connue sous le nom de Pocahontas, et dont la vie a été utilisée comme étai des mythes fondateurs américains – en s’approchant « en imagination, du nœud, / du pouls, de la braise de ce qu’elle fut – / nullement étrangère au mystère / de ce que nous sommes », ou qu’elle évoque le désir de s’enfuir, de s’évader loin de « ce qui nous a fait, / loin de tout » – un besoin vital qui lui a fait quitter son Iowa natal ou qui en pousse d’autres sur le chemin de l’exil – c’est toujours au-devant de la nudité des faits qu’elle va, d’une réalité infiniment retorse à laquelle elle oppose la tenue de son poème, ce qui est sa façon d’échapper aux simples logiques de la survie comme au « bruit duveteux au regard trouble » de la mort.
Une poésie qui a grand souci de l’humanité, de la dégradation du monde naturel, et où histoire individuelle et histoire collective s’entrecroisent. Où s’entend le refus de s’avilir, de s’aligner, de se rendre à la petite vie des intérêts et des haines du trop humain. Née dans le Midwest américain, Amy Clampitt gagna New York pour y poursuivre des études qu’elle abandonna pour travailler comme secrétaire, puis comme bibliothécaire avant de devenir relectrice-correctrice indépendante. Elle avait près de 60 ans lorsque parurent ses premiers poèmes. Sa sincérité, ses scrupules se manifestent, dans sa poésie, par des choix déterminés de configurations du langage, un pari sur des formes toujours changeantes, celles qui lui semblent à même d’épouser sa pensée ou de rendre présent ce qui paraît perdu. Ne s’en tenant à aucune forme fixe, elle invente sa prosodie, dispose les rimes là où elles seront invisibles ou inaudibles, supprime parfois la ponctuation ou laisse sa phrase courir sur quarante vers. Ou alors, elle fait de la poésie à partir de la poésie en s’appropriant le chant IX de L’Enfer de Dante, ou en donnant sa version du célèbre adieu de Keats dans son Ode à l’automne. « Ô, (…) d’être vivant / n’est rien qu’une embuscade, qui élude / la présence des anges, puisqu’il est / dans la nature des anges d’être terribles : / à la merci des haut-le-cœur d’une masse / viscérale percée de ganglions-judas, / tandis que quelque part là-dedans, le lapin aux grands yeux / du délire, tapi, effrayé à en perdre la tête, attend. »
Cette écriture condensée, aussi savante que limpide passe par une forme éminemment visuelle, relève d’une prédilection pour la beauté du monde naturel et la sensorialité des souvenirs. Comme celui de « l’odeur des pommes / se ridant dans l’obscurité » ou celle, « matriarcale », du seau à lait. Rempart contre le désenchantement, ce livre, à la beauté blessée, se développe sur un fond de silence hanté par la perte mais intérieurement magnifié par une innocence seconde qui lui donne tout son sens.

Richard Blin

Un silence s’ouvre,
Amy Clampitt
édition bilingue
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gaëlle Cogan
Préface de Calista McRae
Nous, 192 pages, 18

Ouvrir sur un au-delà de soi Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°224 , juin 2021.
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