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Histoire littéraire La raison du plus faible

juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224 | par Jérôme Delclos

L’autobiographie véhémente de Luigi Lucheni (1873-1910), assassin de Sissi, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie.

Luigi Lucheni, l’anarchiste qui tua Sissi

Le 10 septembre 1898 à Genève, un ouvrier italien, armé d’une lime d’affûtage, poignarde Élisabeth, impératrice d’Autriche, laquelle succombe. Arrêté, il revendique pleinement son acte durant son procès, et s’écrie au prononcé du verdict – perpète – « Vive l’anarchie, à bas les aristocrates ! » Douze ans plus tard, on le retrouve pendu dans sa cellule. L’historien Claude Cantini, dans les Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier (N°14, 1998), a montré les incohérences des rapports de police et d’autopsie, et l’impossibilité matérielle où était Luigi Lucheni de se suicider. Il faut croire que l’anarchiste, qui rédigeait ses Mémoires depuis 1907 à la demande du médecin légiste Lacassagne, devait déranger. Sur ses cinq cahiers, volés par ses gardiens, seul le premier sera retrouvé par un collectionneur en 1938. Édité en 1998 par Le Cherche midi sous le titre Histoire d’un enfant abandonné à la fin du XIXe siècle racontée par lui-même, c’est ce même texte que réédite Inculte, avec une belle préface d’Hervé Le Corre qui pointe ses enjeux politiques, sociaux, et en souligne « les troublants échos, pour qui tendra l’oreille, avec les questions et passions de nos temps « modernes » ».
On pense à Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…, et à ce que Foucault appelait La vie des hommes infâmes. Mais à la différence de Rivière, ce qui frappe chez Lucheni c’est la langue, un français très écrit qu’il avait dû apprendre dans les cercles anarchistes, dans des livres et Le Père peinard, et perfectionner dans sa prison suisse au contact des « criminalistes » soucieux d’établir son anormalité. Et c’est d’abord à notre incrédulité que nous renvoie la lecture de Lucheni, comme si un prolo de cette époque ne pouvait pas penser, et moins encore écrire superbement sa pensée. Arlette Farge, dans Le Goût de l’archive, note ceci : « Les classes populaires, moins habiles à manier l’écrit, n’ont point pour autant vécu sans se représenter elles-mêmes (…). En fait, il s’agit de réfléchir sur cet espace blanc que l’être met entre lui et lui-même, lui et ses conduites, lui et l’image de ses conduites ». Dès l’incipit de son cahier, c’est bien ce à quoi nous appelle son auteur, et de façon très consciente : « Je t’offre ici l’histoire de ma vie. Je ne doute pas que, vu son originalité, sa lecture t’inclinera à n’y voir que des mensonges ». Contre ses juges, contre les aliénistes, les phrénologues qui lui mesurent le crâne, les journalistes qui le dépeignent en idiot congénital en prévision de « gros tirages », contre le bourgeois qui ne voit en lui qu’un monstre, Lucheni le clame haut et fort : « ce n’est pas un stupide, comme l’ont avancé ces Messieurs, qui a assassiné l’infortunée Impératrice ».
Tout son récit obéit alors à son intention, proprement archéologique, de dérouler depuis l’histoire de sa mère – une bergère engrossée par le fils du maître et contrainte d’abandonner son enfant et d’émigrer – l’inexorable série des déterminismes de classe qui le mènent de l’orphelinat aux familles d’accueil maltraitantes, elles-mêmes victimes, montre-t-il, parce que conduites par la misère à recueillir, contre un maigre pécule, des enfants à qui ils feront une condition pire que celle consentie à leurs bêtes. Son autobiographie, Lucheni y insiste dès l’adresse au lecteur, est donc celle d’un « criminel artificiel », et non pas par nature. Évoquant Diogène, les mythes grecs (il a lu Homère), la Bible, égratignant au passage les romans qui finissent trop bien quand ils devraient « conduire leurs bâtards à l’échafaud ou au bagne », l’assassin qui se réclama de Bakounine lors de son procès démonte point par point les mécanismes qui jettent, non seulement lui, mais tous les « malheureux enfants » dans le malheur, ce vestibule du crime. Parler pour les faibles, les « déshérités », faire entendre leur voix, telle est la raison pour lui la plus forte de se raconter contre « les FORTS », ces criminels de toujours, ces « voleurs en grand » : « Interroge-les, ces infortunés. (…) N’oublie pas non plus les vieillards sans tanière, parce que, en général, s’ils en sont dépourvus, c’est que tu as voulu construire la tienne un peu trop large ».

Jérôme Delclos

Luigi Lucheni, l’anarchiste qui tua Sissi
Luigi Lucheni
Inculte, 175 pages, 6,90

La raison du plus faible Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°224 , juin 2021.
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