Rire enchaîné : Petite anthologie de l’humour des esclaves noirs américains
L’humour des esclaves noirs, tiré du folklore afro-américain des USA du XIXe siècle, « et plus précisément de la période ayant précédé l’abolition de l’esclavage le 18 décembre 1865 », ruse avec la crainte du maître, dont on ne peut rire que sous cape. Il s’inscrit dans des registres variés : du conte animalier, où l’on retrouve un « frère lapin » cousin du Nanabush des Amérindiens, à l’anecdote à double sens, en passant par des blagues qui mettent en scène « John » – un Nasreddin esclave, un faux naïf qui a lui aussi ses bons mots. Des historiettes relatent les combats entre esclaves organisés entre les maîtres parieurs, et où il s’agit surtout de trouver des expédients pour ne pas se battre, par exemple en profitant de l’occasion, trop belle, pour gifler la maîtresse en prétendant ensuite que c’était le seul moyen de terroriser l’adversaire : « Jim a pensé que j’hésiterais pas à le tuer si j’étais capable de porter la main sur une femme blanche, répondit John. Voilà pourquoi il s’est enfui ». Il y a encore les récits de rêves de liberté qui finissent par le dur réveil, mais aussi ceux des fugues réussies et des bons tours, le vol parce que « les esclaves ne mangeaient rien de bon, à part ce qu’ils volaient », ou le mensonge : « en ce temps-là, nous n‘avions pas d’autre choix que mentir ».
Thierry Beauchamp souligne le rôle de la « scapinade » : un esclave récalcitrant qui s’oppose à son « vieux maître ». Nonsense : John a un gri-gri, s’en sert pour devenir un serpent mais que le maître capture pour le transformer en bâton et… battre le pauvre John. Rire de consolation, de compensation ? Pas que : rire du maître, c’est ruiner la croyance en sa domination naturelle, déjà s’émanciper, sinon se révolter. Danser dans les chaînes.
Jérôme Delclos
Rire enchaîné
Petite anthologie de l’humour des esclaves noirs américains
Textes réunis et traduits de l’anglais par Thierry Beauchamp
Anacharsis, 121 pages, 7 €