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Textes & images Ferrandez l’enfanteur

juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225 | par Catherine Simon

En partie autobiographique, Suites algériennes illustre les événements marquants de l’histoire contemporaine algérienne, de l’indépendance à la révolte populaire de 2019.

Le Désert sans détour - Illustré par Jacques Ferrandez

Ça démarre aujourd’hui ou presque, dans l’Alger du hirak. Massés devant la Grande Poste, des dizaines de protestataires disent leur rejet du « régime militaire » et des « gangsters » du FLN. Ces mots, qui sautent aux yeux dès les premières pages du nouvel opus de Jacques Ferrandez, jamais, avant 2019, la rue algérienne ne les avait prononcés : durant la guerre civile des années 1990, ceux qui osaient critiquer à voix haute l’armée, sa puissance corruptrice et ses méthodes dictatoriales, étaient inévitablement accusés de complicité avec les barbus. L’armée, dernier rempart contre les islamistes, répétait-on ad nauseam… Cette Algérie en noir et blanc, cette Algérie tétanisée, soumise à la tyrannie d’un pouvoir mafieux plus ou moins galonné et au glaive des « fous de Dieu », Ferrandez ne l’a pas connue, vécue au quotidien. Pas plus qu’il n’a connu, dans sa chair, l’Algérie coloniale de son arrière-grand-père, chef de gare à Beni Ounif, dans le sud oranais, en 1904, ni celle de son grand-père, qui survécut aux tranchées de la guerre de 1914-1918, ni même celle de son père, médecin à Alger – ville où lui-même est né en décembre 1955, mais dont il n’a aucun souvenir : il était âgé de 3 mois quand ses parents décidèrent, en 1956, de partir s’installer en France. Et pourtant tout est là ! En trois coups de crayon, on touche à l’essentiel. C’est le miracle Ferrandez, chroniqueur du présent, pêcheur d’images des temps passés : ses racines algériennes, il les a inventées, dessinées, enfantées, avant même de mettre les pieds à Alger en 1993, à presque 40 ans…
Bizarres racines, en vérité ! Plus vraies que nature. Ce pays où il n’a pas grandi, dès les premiers albums de ses Carnets d’Orient, Ferrandez nous l’avait donné à voir comme personne avant lui : en images fortes, en vibrantes aquarelles, en récits drôles ou terribles, qui captivent et se télescopent, d’un siècle à l’autre, d’une rive à l’autre, d’une guerre à l’autre. Explorant l’Algérie de ses aïeux (futurs pieds-noirs) émigrés d’Espagne et de France à la fin du XIXe siècle, il avait retracé pas à pas, en suivant la chronologie, l’histoire de ce pays meurtri – de la conquête coloniale jusqu’à l’indépendance en 1962 : les Carnets d’Orient, longue saga en bande dessinée, d’une grande force pédagogique, avaient été salués par une flopée de chics préfaciers de Jean Daniel à Gilles Kepel, en passant par Benjamin Stora ou Bruno Étienne.
Dans Suites algériennes, Ferrandez prend plus de risques. Non seulement il parle du hirak, avec lyrisme et sympathie, mais il se met en scène : le personnage de Paul-Yanis, c’est lui, ce dégingandé aux yeux bleus, qui déambule au milieu des manifestants. « Mais de quoi il se mêle ? Sûr que certains vont se dire ça. Heureusement, il n’y a rien eu de tel. Pour l’instant… », commente l’auteur, au téléphone.
Bien accueilli en Algérie, le dessinateur des Carnets d’Orient avait été invité à participer au Salon du livre de novembre 2019. C’est ainsi qu’il avait découvert, en lisant la presse algérienne, l’importance des manifestations du hirak. Il avait également, à l’occasion de ce séjour, décidé d’aller visiter les tombes de ses arrière-grands-pères, enterrés dans les cimetières chrétiens de Belcourt et de Bab el Oued. L’une d’elles était abîmée : le premier chapitre des Suites algériennes démarre là-dessus.
En partie autobiographique, comme le sont les Carnets d’Orient, ce nouvel album décline, en neuf chapitres, dont chacun est dédié à un personnage singulier, des événements marquants de l’histoire contemporaine algérienne : au hirak de 2019, font écho les émeutes de 1988 ; de même, une filiation s’esquisse entre les chefs de la sécurité militaire, chargés de réprimer les révoltes, et le coup d’État de 1965 ; ou entre les figures féminines, de Nour-la-passionaria d’aujourd’hui et Mathilde-la-pied-rouge d’hier, en passant par l’acariâtre Noémie ou la belle Samia, toutes femmes de caractère, à la vie cabossée, voire brisée. On croise aussi les fantômes de Boumediene, de Ben Bella et de Boudiaf – la première partie des Suites… se clôt sur l’assassinat de ce dernier, en juin 1992.
La deuxième partie devrait paraître dans quelques mois – « ça va aller vite », promet Ferrandez, qui passe beaucoup de temps, avant d’esquisser un scénario, à se documenter – puisant dans les livres, les archives, les articles de presse. Il a, depuis l’enfance, le goût de l’épopée. Gamin, « dès 6 ou 7 ans », il aimait « dessiner des batailles : westerns, croisades, les campagnes napoléoniennes… » Mais c’est en écoutant son grand-père maternel, le fils du fameux chef de gare de Beni Ounif – qui avait « sans doute côtoyé Isabelle Eberhardt » – raconter son enfance insouciante, que les portes de la si proche et si lointaine Algérie se sont ouvertes dans son esprit. Delacroix est venu ensuite.
Lecteur éclectique, grand amateur de jazz (il joue de la contrebasse et a publié une bio dessinée de Miles Davis), illustrateur de Giono (Le Chant du monde) et surtout de Camus (L’Hôte, Le Premier Homme, L’Étranger), Ferrandez, en brillant touche-à-tout qu’il est, vient de publier, en même temps que les Suites…, un Mohammed Dib illustré, Le Désert sans détour, court roman de 1992, inspiré d’En attendant Godot de Beckett.
Monomaniaque de l’Algérie, Ferrandez, qu’une forte et brève amitié lia au romancier Rachid Mimouni, avoue que, s’il devait, comme l’exige le jeu un peu niais dit « de l’île déserte », emporter seulement quelques livres dans ses bagages, il choisirait un texte de Camus, L’Exil d’Hélène, puis un Kundera, La Plaisanterie peut-être, sans oublier L’Usage du monde de Nicolas Bouvier et un Tintin, Le Crabe aux pinces d’or… Quant aux tableaux, s’il devait en élire quelques-uns – « j’aime être bluffé par un peintre », dit-il – ceux qui auraient sa préférence seraient signés du Caravage, de Monet, Degas… et d’Hugo Pratt, comme il se doit.

Catherine Simon

Suites algériennes 1962-2019 (première partie),
Jacques Ferrandez
Casterman, 144 pages, 16

Le Désert sans détour,
Mohamed Dib
Illustré par Jacques Ferrandez
Actes Sud BD, 190 pages, 25

Ferrandez l’enfanteur Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°225 , juillet 2021.
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