Un livre qui fait d’un personnage historique son sujet n’est pas nécessairement un roman historique, ce que cet objet littéraire aussi étonnant qu’enflammé d’Arnaud Maïsetti démontrera amplement. Ce roman n’est pas un roman historique car il ne vise pas tant à raconter par le menu un épisode de l’histoire – en l’occurrence, la Révolution –, qu’à déceler ce qui serait le mouvement même de l’histoire, dont nous n’avons, nous annonce l’auteur dès la première phrase, qu’« une idée vague et défaite ».
En réalité, davantage qu’un roman, ce livre est un grand flux lyrique, fiévreux, intense, écrit dans une langue flamboyante, une véritable œuvre de styliste, digne certainement du personnage que cette écriture prend pour sujet ou prétexte : Saint-Just, figure controversée s’il en est, que l’histoire, justement, aura peut-être un peu vite réduite à celle d’un fébrile coupeur de têtes, un « archange de la Terreur » qui n’attendait finalement rien si ce n’est qu’on lui coupe à son tour la sienne, ce qui arriva sans faillir en 1794, alors que la Révolution, empêtrée dans ses propres contradictions, s’effilochait déjà. Les absolus qu’elle avait élevés étaient trop abrupts. Car Saint-Just incarne peut-être surtout cela : un idéal de justice tellement grand, tellement implacable, qu’il est condamné à se transformer en monstruosité.
« Nous regardons le buste des hommes qui sont morts et nous leur reconnaissons une certaine élégance, nous préférons oublier qu’ils crachaient du sang sur l’échafaud, un sang qui parfois n’était pas le leur ». Arnaud Maïsetti regarde donc attentivement, sur plus de 300 pages, le buste de Saint-Just. Plus exactement, il en analyse la poussière qui flotte encore, il en est persuadé ; cette même poussière que Saint-Just méprisait, lui qui fut le plus jeune à siéger à la Convention et qui mourut à 26 ans, victime d’un emballement qu’il avait lui-même créé. « Je méprise la poussière qui me compose », clama-t-il, tout en revendiquant pour lui « les siècles ».
Les siècles, peut-être, n’en demandaient pas tant ou n’auront pas été à la hauteur : « Monstre de contradiction, il aura été pour les uns l’Ange et pour les autres le Pire, et l’assoiffé de sang et l’insatiable du Bonheur. » Le Bonheur comme idéal impossible qui bute sur le rocher de l’autorité : « Pas un discours où ne dominent la méfiance du pouvoir et la haine de la domination. Mais pas un acte où ne s’affronte le péril de se jeter sur le pouvoir, moins pour l’exercer que pour le seul but d’abattre en lui le péril de l’autorité qui menace comme un vulgaire souverain. » Le voici donc coincé sur « le chemin de crête » de la « tyrannie de la liberté ». On commence par celle du roi, et les têtes n’en finissent plus de tomber.
Saint-Just, orateur époustouflant, fut celui qui habitait « ce territoire de la langue et de l’action, précisément au lieu où la langue devient action pure » : à la Convention donc, un endroit qu’il aura ardemment désiré bien avant d’avoir l’âge de pouvoir y prétendre. Ce pourrait être l’histoire d’un arriviste, s’il n’était aussi possédé de sa mission. Mission militaire d’abord, à défaut d’autre chose, alors que les troupes étrangères se pressent aux frontières. Trop jeune encore pour emporter la Convention grâce à sa verve, il défait déjà les contre-révolutionnaires en province. Viendra ensuite le temps des discours et de l’amitié avec Robespierre. Les temps de la lame qui tombe à longueur de journée sur les nuques.
C’est bien la prose d’Arnaud Maïsetti qui nous emporte ici. Une prose presque anachronique, hors du temps, dans son élégance et, parfois aussi, son maniérisme. Mais une prose qui démontre aussi une belle foi en la littérature, cette vieille affaire toujours vivace.
Guillaume Contré
Saint-Just & des poussières,
d’Arnaud Maïsetti
L’Arbre vengeur, 330 pages, 18 €
Domaine français Remonter la poussière
septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226
| par
Guillaume Contré
Un roman à la prose aussi belle qu’intense se réapproprie la figure honnie de Saint-Just pour mieux « rendre justice à sa mort ».
Un livre
Remonter la poussière
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°226
, septembre 2021.