À quoi voit-on qu’un garçon de 18 ans est en train de devenir fou ? On ne le voit pas. Sylvain Breuil, c’est son nom, a compris « très tôt », lui dont la mère est morte « en couches », en le mettant au monde, et dont le père, incapable de surmonter la douleur de ce deuil, sombre dans la démence, « qu’il lui fallait se prémunir contre les multiples périls qui menacent la vie des humains et particulièrement la sienne, commencée dans de tragiques circonstances ». Fils unique, le jeune Sylvain a grandi quasi orphelin et fichtrement déboussolé. Personne, ni son oncle Roger, ni son ami Stanislav, ni la tendre Françoise « aux yeux de pluie », ne sauront mesurer à quel point.
Comment sauver sa peau, échapper à la malédiction familiale ? D’un naturel sauvage et renfermé, Sylvain travaille en secret à se rendre invulnérable, voire immortel. Dès l’entrée du récit, un oiseau lui donne la clé : le pic vert, découvre-t-il lors d’une visite guidée, quand il fore les arbres, « enroule sa langue autour de son cerveau pour le protéger contre les trépidations ». Cette phrase est une « révélation » pour Sylvain Breuil. Le pic vert devient son modèle, son obsession. Tout est bon, désormais, pour alimenter son délire volatile, nourrir ses hallucinations, l’amener à fuir la vie, l’amour, son propre corps et à s’emmurer, sans qu’il s’en doute, dans une nuit sans retour.
Les oiseaux, la forêt et le village de Cronce, en Auvergne, « un pays de nulle part, ravitaillé par les corbeaux », sont des thèmes récurrents dans l’œuvre poétique de Chantal Dupuy-Dunier. On les retrouve dans La Langue du pic vert, son premier roman, un récit formidable de noirceur, d’empathie et de délicatesse, où l’on suit, pas à pas, s’enfonçant dans les bois et les champs, guettant l’apparition des pics verts qui traversent les murs du salon, cet étrange jeune homme à peine sorti de l’adolescence, et qui finit, à l’insu de tous, par se prendre pour un oiseau. Un livre rare, dur, lumineux.
Catherine Simon
La Langue du pic vert, de Chantal Dupuy-Dunier, La Déviation, 286 pages, 20 €
Domaine français Pic vert, à la folie
septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226
| par
Catherine Simon
Un livre
Pic vert, à la folie
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°226
, septembre 2021.