C’est une histoire de neige et de solitudes, habillée de blanc, comme étouffée et qui démarre façon fait divers, de ceux qu’on pourrait lire à la une du journal local : un enfant disparaît dans le blizzard. Sa nourrice ? gouvernante ? préceptrice ? a quitté la maison dans le plus grand silence et ne s’est pas aperçue tout de suite de sa disparition.
Le roman fonctionne comme un huis clos, chaque protagoniste prisonnier de l’espace alentour, réduit, hostile, de lui-même, des autres, et de son passé. C’est à une plongée à l’aveugle que nous convie ainsi Marie Vingtras, qui assemble un puzzle, fragile, fait de souvenirs, de rencontres, d’échecs successifs, de récits qui pour singuliers, résonnent comme un chant choral. Et pour cause. Comment pourrait-on croire au hasard, sur ces terres perdues, et inhospitalières d’Alaska, où vivent les mêmes familles, depuis des lustres. Benedict a grandi ici ; et il sait, il sent : « Un jour, elle m’a dit que leur présence ici était un non-sens. Je n’aurai jamais dû les ramener. Je n’en serais pas là aujourd’hui, à chercher un gosse et une fille au milieu de la neige, au milieu de nulle part. »
Dans le blizzard tout se fond, se mêle, se ressemble, se confond. Le froid se fait mordant, les habits ne sont jamais assez chauds, l’humidité s’infiltre, insidieuse. C’est le moment qu’a choisi Bess pour sortir, avec le garçon, alors que « même une fille aussi spéciale qu’elle aurait dû savoir qu’on ne sort pas dehors en plein blizzard ». Elle a lâché sa main, juste quelques secondes, pour refaire un lacet. L’enfant alors s’est comme évaporé, volatilisé. Évanoui en silence, dans le grand sifflement du vent. Bess le cherche. Et Benedict, père solitaire et malgré lui, les poursuit dans la neige. Cole l’accompagne, ruminant ses rancœurs, une flasque à la poche. Freeman, l’ancien policier, le vétéran du Vietnam, depuis sa maison sous la neige ignore et patiente. Clifford, âme sombre, guette.
Ils sont tous là, et le jeu de se mettre en place, jeu de chasse, jeu de quête, propice à faire éclater les vérités enfouies, les secrets de famille, les douleurs ressassées, la violence, latente, exacerbée par la solitude, et la sauvagerie alentour. Marie Vingtras agence son récit avec une rigueur extrême, positionne ses personnages, et joue, un coup après l’autre. Tous prennent la parole, et leurs voix s’élèvent, se croisent, sans jamais se rencontrer. À moins que. On lit au fil de leurs récits les incompréhensions, les trahisons, les jalousies, les rages, les désespoirs, les impuissances. La quête de rédemption des uns, la violence larvée des autres, le vide, l’absence, l’incapacité à se pardonner, à tourner une page, à recommencer.
Et au milieu, le garçon. Le garçon disparu. Celui que tout le monde veut, a voulu, cherche à sauver.
Alors que les minutes passent, cruciales dans le blizzard, où on ne survit jamais longtemps, l’histoire de chacun des personnages émerge et un tableau, bien plus complexe qu’on ne l’aurait pensé au premier abord, s’esquisse. Croisant les voix de chacun – seul l’enfant garde le silence –, Marie Vingtras crée un roman polyphonique, chaque voix écho à l’une ou l’autre, révélant des blessures profondes, les attentes, l’espoir impossible à totalement effacer. Et sur ces territoires du nord, dans ce roman où les personnages, les lieux, le ton tiennent absolument du roman américain, Marie Vingtras anime en digne coryphée une tragédie à dénouer, sous peine d’effondrer définitivement des individus déjà bien abîmés. Si tant est qu’ils puissent tous être rattrapés.
Julie Coutu
Blizzard, de Marie Vingtras
L’Olivier, 192 pages, 17 €
Domaine français Avancer contre le vent
septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226
| par
Julie Coutu
Avec ses personnages prisonniers de la neige, du froid, et surtout d’eux-mêmes, Blizzard est un étonnant récit tout en introspections.
Un livre
Avancer contre le vent
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°226
, septembre 2021.