L’histoire paraît d’abord très simple : parallèlement à son doctorat, une toute jeune femme devient assistante de vie d’une très vieille dame. Où la chose se complique, et sérieusement, c’est que la dame en question n’est pas n’importe qui : on vous présente Lucette Destouches, veuve d’un certain Louis-Ferdinand Destouches, alias Céline. Dans ce qui est son premier livre, Sandra Vanbremeersch, rebaptisée ici Violette pour les besoins de la vraie-fausse fiction, romance son expérience de près de vingt ans aux côtés de « l’impératrice de Meudon ». Car ce qui ne devait être qu’un job provisoire est devenu, au prix de sentiments mêlés, bien plus qu’un emploi, un sacerdoce. Le pavillon légendaire, « ce quelque part peu ordinaire » situé dans la ville des Hauts-de-Seine, lui apparaît vite comme un microcosme, une scène surchauffée (« l’étuve ») où les hauts et les bas de la « Pharaonne » font l’objet de toutes les attentions. « Extravagante maison du désir, tu as vu passer dans les battements réguliers des visites un arc-en-ciel de vieux bavards, de jeunes talents prometteurs et d’êtres de tous horizons qui venaient pour la nébuleuse émotion de ta porte franchie, de l’odeur habitée de tes murs, et pour l’exquis privilège d’être là, tout simplement, aux pieds de la Reine. » Il faut dire que la maîtresse des lieux reçoit du monde, attirant à elle courtisans et curieux qui la voient comme l’ombre portée de l’illustre auteur du Voyage au bout de la nuit : « Au fond, tous, ils veulent voir Céline, pas moi », confie, lucide, « Madame D. ». « Une fois l’homme mort, l’écrivain n’a jamais pu s’en aller. Fantôme de la maison hantée, il rôde autour de nos vies comme une chose à laquelle on ne peut échapper. »
Habile et sévère portraitiste, Sandra Vanbremeersch croque, depuis la coulisse où son double romanesque s’active au milieu de la « faune domestique », les « pèlerins » d’un jour et les habitués de la table de la villa meudonnaise. Le tout forme une galerie de personnages assez peu attachants… Bref, c’est à un défilé de figures plus ou moins fantasques que nous convie, en observatrice privilégiée, « la bonniche », la « soubrette » Violette.
L’évocation de la vie de la « Veuve Céline » dans cet « univers de théâtre » ne se limite toutefois pas aux seules entrées et sorties dans son « royaume » ; il y est aussi question du vieillissement, du glissement d’un corps, celui évidemment de l’ancienne « Danseuse » que fut Lucette Destouches, dans le très grand âge. Rabougrissement, racornissement, rapetissement d’un être, telles sont, danse macabre, les dernières années de la veuve alitée, devenue « terre osseuse ». « Nous avons tous travailler d’arrache-pied à sa longévité », se souvient la narratrice psychopompe. Mais le nuageux parfum au jasmin dont s’entoure la fragile petite chose ne masquera pas éternellement l’odeur de la Mort qui rôde. Elle s’éteindra à l’âge de 107 ans, un jour de novembre 2019. C’est un troublant voyage au bout de la vie qu’a finalement écrit Sandra Vanbremeersch.
Anthony Dufraisse
La Dame couchée,
de Sandra Vanbremeersch
Seuil, 173 pages, 17,50 €
Domaine français Voyage au bout de la vie
septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226
| par
Anthony Dufraisse
Dans La Dame couchée, Sandra Vanbremeersch romance son expérience de près de vingt ans aux côtés de la « Veuve Céline ».
Un livre
Voyage au bout de la vie
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°226
, septembre 2021.