Les éditeurs qui publient des récits mêlant la philosophie, la fiction et l’autodérision ne sont pas légion. Ceux qui ajoutent la poésie à leur arc, encore moins. « Freaks », collection phare d’Æthalidès, casse les codes. Il y a du nerf dans ces écritures hybrides, un peu folles, parfois provocatrices. « On ne peut pas publier ça », se souvient, malicieux, Laurent Collin, lecteur de « Freud, de Sade et de SF », au début de l’aventure, lancée avec sa compagne Valérie. Tous les deux sont issus du monde de l’entreprise : le secteur du digital pour Valérie, celui du logiciel pour Laurent, ingénieur de formation. Après un démarrage timide, Æthalidès monte en puissance. Une douzaine de titres sont parus depuis deux ans. Sans trop regarder les ventes. « On plante une vigne, on récoltera du vin plus tard », se rassurent-ils. D’ailleurs, la maison ne manque pas de projets : développer sa collection jeunesse, puis étendre son catalogue à la francophonie.
Sur quel désir s’est créée Æthalidès ? Y avait-il des espaces littéraires qui vous semblaient trop peu visibles ?
Vous interrogez le désir des trois fondateurs : Valérie, Laurent, et le couple que forment Valérie & Laurent. Pour Laurent, on peut comprendre : c’est le désir de briser la solitude de l’écrivain ; être publié, être lu, est une échappatoire ; publier d’autres auteurs, d’autres solitudes, en est une autre, qui lui a paru, à ce moment-là, intellectuellement et humainement plus enrichissante. Pour Valérie, on peut aussi comprendre : c’est le désir de faire converger ses compétences et son expérience entrepreneuriale avec son engouement pour l’art. Mais pour le couple Valérie & Laurent, c’est franchement incompréhensible : comment deux adultes matures et consentants peuvent-ils succomber au désir, clairement déraisonnable, de lancer une maison d’édition qui clame la toute-puissance de la poésie à une époque où plus grand monde ne lit ? Notre business plan est parti en courant après s’être regardé dans le miroir. On peut se réconforter en pensant que Æthalidès participe de « la sagesse criant dans le désert », mais plus vraisemblablement c’est une folie de plus s’époumonant dans le monde…
Plus sérieusement, ce n’est pas un manque qui nous a poussés à entreprendre Æthalidès, mais, paradoxalement, son contraire : un trop-plein – la massification du moindre espace littéraire, disséqué, étiqueté et ciblé par les dieux du marketing. N’ont-ils pas la volonté, ces dieux, de morceler et de réduire la littérature en un produit formaté et prêt-à-consommer ? (L’imaginaire ? – Au rayon « SF & Fantasy ». Le questionnement ? – Au rayon « Sciences humaines ». La violence, la misère ? – Au rayon « Polar ». L’expérimental ? Au rayon « Poésie », si, si, là-bas, sous l’étal où personne ne va. La radicalité ? – Ah, non, ça, on n’a pas…) Suite à quoi il reste un ensemble assez terne duquel on a extirpé la radicalité, l’expérimental, la violence et la misère, le questionnement,...
Éditeur Frictions chez « Freaks »
octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227
| par
Philippe Savary
Décloisonnant les genres (fiction, essai, poésie), Æthalidès interroge notre modernité. En toute liberté, noirceur et humour compris.
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