Pour dire qu’un auteur est mort à la création avant d’avoir produit un chef-d’œuvre, on dit que son œuvre est fulgurante, ou qu’elle a des fulgurances lorsque nombre de ses pages sont à l’état de pièces brouillonnes. C’est le cas de celles de Colette Thomas dont l’esprit et la volonté créatrice ont sombré tour à tour avant d’aboutir à une pièce solide, ancrée, accessible au grand nombre. Son livre présentement réédité, Le Testament de la fille morte, témoigne justement de ce départ. Elle l’avait publié avec l’aide d’amis en 1954 sous le pseudonyme de René. Il est plein de trous, d’échardes, de petits bouts de parole, de tentatives de quelques pages. Colette Thomas (1918-2006) n’aura publié que cet ensemble de littérature qu’on dirait avortée, même si certains y ont vu une sorte de cathédrale (Bernard Noël) ou les prémices « d’un autre univers » comme le fit Antonin Artaud, ami de l’apprentie comédienne Colette, ex-élève de Louis Jouvet, épouse un temps d’Henri Thomas, abattue par les doubles mystères de la folie et de la mystique. Il faut beaucoup de chance pour aboutir à un livre lorsque la psychiatrie s’en mêle. Emma Santos et sa Malcastrée (rééd. Des Femmes, 2021) pourraient en témoigner. Colette Thomas oscille perpétuellement entre la grâce et la faiblesse : « Hier matin j’éprouvais une impression assez forte de puissance et de beauté./ J’étais allongée sur une avancée de terrain rocheux, à peu près nue, pour que le soleil me traverse un peu. (…) J’entendis alors le roulement du tonnerre. » Depuis plusieurs années la revue Midi militait pour le souvenir de la douloureuse figure de celle qui signait aussi « La Fille morte » ces poèmes, pensées, bout de récits et « fulgurances » si proches de l’au-delà de la pensée. Il y est beaucoup question d’amour et de théâtre dans ces pages pleines d’électricité et de détresse (un avortement trouve le moyen de s’immiscer). Peu à peu la Jérusalem céleste empiète de plus en plus, ainsi que cette géométrie dans l’espace qui ressemble de plus en plus à la quadrature du cercle de l’esprit… Les lignes s’écrivent avec l’emphase de la capitale. Puis le silence.
Éric Dussert
Le Testament de la fille morte
Colette Thomas
Postface de Pacôme Thiellement
Prairial, 175 pages, 15 €
Domaine français Le roulement du tonnerre
octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227
| par
Éric Dussert
Un livre
Le roulement du tonnerre
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°227
, octobre 2021.