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Domaine français Le feu sur la langue

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227 | par Flora Moricet

Un portrait indocile, poétique, charnu et drôle de guerrières contemporaines dans des villes du Nord pas vraiment chaleureuses.

La littérature francophone n’appartient pas à tout le monde, ce constat est implacable, elle reste un territoire privilégié où bien des corps continuent de manquer. Mais il faut toujours aller voir du côté du Canada pour rencontrer une littérature hybride, inventive parce que hantée par son histoire coloniale. Artiste bilingue d’origine haïtienne et béninoise, Valérie Bah publie pour la première fois un texte entêtant proche de la nouvelle, porté par des femmes noires, queers, incandescentes. Le sujet des Enragé·e·s n’est pas le point médian qui sépare deux lettres, mais le feu qui circule entre les corps et sur les langues de Fred, Katia, Marie, Daphné et Aubin Adjaho le gardien d’immeuble… Dans une belle préface, Stéphane Martelly retrace le chemin d’une langue d’abord hostile, dépossédée puis reconquise jusqu’à former une « écriture généreuse où il est possible de se mettre à plusieurs pour la rapatrier ».
Animatrice d’ateliers sur la diversité et l’inclusion, Katia ne supporte pas sa cheffe Mlle Le Seigneur « dont l’unique point du jour était d’affirmer son autorité ». Tout le monde en prend pour son grade, même les safe spaces – lieux d’écoute militants supposés bienveillants – les mieux inten- tionnés sont fragiles et peuvent être cassés à tout moment par un tchuip « juteux et retentissant (…) démontrant la fragile alphabétisation du groupe ». Valérie Bah a les yeux à 360 degrés et le sens réjouissant du détail. Les accroches de chaque chapitre forment à elles-mêmes un poème. Rappelant la première phrase du roman d’Aragon, Daphné et Marie se rencontrent dans les vestiaires d’un sauna, autour d’une tache d’eczéma  : « La première chose que Daphné Chérilus remarqua chez Marie Saint-Esprit, parfaite inconnue et future amante était son odeur d’huile de noix de coco et de menthe poivrée ».
Dépourvue de temps mort, la narration est ponctuée de scènes cocasses, parfois nerveuses. Les personnages n’attendent rien de la ville, ils se débrouillent, contournent, volent, prennent parfois des « voix de blanche » pour avoir ce qu’ils veulent, comme la mère qui veut que sa fille ait de nouveau le droit d’emprunter des livres à la bibliothèque. Peu importe, si elle échoue à ses dictées, ce sont les victoires qui comptent.
Complexes, vécues dans chaque corps, les violences raciale, sociale et hétéropatriarcale ne sont pas traitées comme un thème. C’est une violence infuse parfois sensuelle et vorace. Lorsque James se retrouve face à sa prochaine conquête rencontrée sur Internet, une quinzaine d’années plus jeune que lui, son sentiment de supériorité en même temps que son admiration se mêlent à son désir : « Il veut lui arracher ses prunelles, les insérer dans ses propres orbites, voir ce qu’elle voit, pénétrer ses ventouses de lèvres, goûter ce qu’elle trouve sucré, percer son crâne délicat, y glisser les doigts, s’humecter du sang rouge qui lui prouvera leur humanité commune ». Elle le dévorera.
Il faut souvent beaucoup de « litres de vin rouge pour bien tremper nos cœurs », et les gueules de bois sont parfois sévères, mais personne ne tombe dans Les Enragé·e·s. Elles sursautent, rebondissent, tanguent et twerkent ensemble comme des sorcières puissantes et fières : « Nous dansons copieusement et longtemps, incitées par l’appétit pour notre propre chair et pour nos souffles cadencés, par le sentiment que nous avons soudain des ressources illimitées et immortelles ».

Flora Moricet

Les Enragé·e·s
Valérie Bah
Éditions du remue-ménage, 216 p., 16

Le feu sur la langue Par Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
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