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Traduction Josette Chicheportiche*

novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228

Cavalier, passe ton chemin, de Larry McMurtry

Cavalier, passe ton chemin

Larry McMurtry, c’est tout d’abord ma rencontre avec Oliver Gallmeister. J’avais traduit Texasville en 1989 pour les éditions First, et un soir de 2016, Oliver m’a appelée pour m’annoncer qu’il voulait racheter ma traduction et que si je le souhaitais, je pouvais la revoir avant publication. Je me suis empressée d’accepter et le rachat et la révision. Le rachat, car cela m’ouvrait les portes de sa maison d’édition qui m’attirait depuis que j’avais lu Sukkwan Island, et la révision car je pressentais qu’une relecture ne ferait pas de mal à ma traduction, certainement datée et sans doute maladroite car j’étais alors nouvelle dans la profession.
Lorsqu’en 2020, Oliver m’a proposé de traduire le premier roman de Larry McMurtry, j’y ai vu comme un signe. Puisque Texasville avait marqué mes débuts chez Gallmeister, il me semblait tout à fait naturel que je traduise ses débuts à lui. Mais une fois le livre lu, j’ai paniqué. Si j’avais déjà vu des films qui se passent en plein cœur de l’Ouest américain, avec ses ranches, ses cow-boys rassemblant à cheval plusieurs milliers de bêtes sur de vastes territoires, je n’étais pas sûre de pouvoir rendre en français, sans user de périphrases, ce que l’image montrait et que l’auteur, en Texan ayant lui-même grandi dans un ranch, décrivait tout naturellement. Cattle guard, calf money, tank, etc. Cattle guard  : on a tous en tête l’image d’un pick-up roulant sur des barres métalliques posées au-dessus d’une fosse, permettant aux voitures mais non au bétail de passer. Personnellement, j’entendais même le bruit des roues. Les divers dictionnaires que je consultais proposaient : barrière canadienne, passage canadien. La seule mention de « canadien » m’a dissuadée. On est au Texas pas au Canada ! Et j’ai donc opté pour « grille à bestiaux », en espérant que le lecteur entendrait lui aussi ce bruit de ferraille si caractéristique. Pour calf money, impossible d’éviter la périphrase. « Two hundred dollars calf money » répond Lonnie quand Jess, un des ouvriers du ranch, lui dit qu’il n’a probablement pas d’argent pour partir. « J’ai deux cents dollars sur ce que j’ai gagné avec les veaux », ai-je décidé que Lonnie répondrait en français. Quid de tank  ? S’agissait-il d’un réservoir, d’une cuve, d’une citerne ? Le fond de ce tank est tapissé de gravier, on peut y pêcher et même s’y baigner. Voilà qui me mettait sur la voie des mares abreuvoirs artificielles qui se transforment en habitat aquatique pour de nombreuses espèces végétales et animales.
Plusieurs romans de Larry McMurtry ont été adaptés à l’écran. Cavalier, passe ton chemin a été ainsi porté à l’écran par Martin Ritt, avec Paul Newman, sous le titre Le Plus Sauvage d’entre tous. Il faut dire que son écriture est très visuelle. « Je traversais la cuisine sur la pointe des pieds, marchant sur les nappes de clair de lune qui s’étalaient parfois sur le linoléum froid. » Tout y est, jusqu’au moindre détail. Aussi, confortablement installée dans mon fauteuil, comme face à un écran, je n’ai eu qu’à suivre Lonnie, tandis qu’il chevauche à travers les pâturages, retrouve ses amis dans la salle de billard de Thalia, accompagne Homer, son grand-père, à Wichita Falls pour une vente de bétail, à Fort Worth où il se glisse en douce dans les bars à bière. Mais avec ce roman, Larry McMurtry ne nous entraîne pas uniquement sur les pas d’un garçon de dix-sept ans qui rêve d’ailleurs. Il raconte la tragédie des éleveurs de bétail dont les bêtes sont atteintes de fièvre aphteuse. Pour moi, un nouveau vocabulaire, et surtout une atmosphère à rendre : la stupeur, la colère, et la résignation d’Homer qui, après que le vétérinaire a fait abattre tout son cheptel, préfère tuer lui-même ses deux vieux longhorns et son taureau pour la simple raison qu’il les a élevés. Cavalier, passe ton chemin, c’est aussi l’histoire d’Halmea, la cuisinière noire qui travaille au ranch, à la fois confidente des tristesses de Lonnie et objet de son désir adolescent, et que le beau-fils d’Homer viole sous ses yeux un soir qu’il a trop bu. Mais que faire de son parler ? Ayant retraduit Autant en emporte le vent, j’ai évidemment songé dans un premier temps à m’inspirer de la langue des esclaves pour vite me rendre compte que ce n’était pas du tout adapté : Halmea est certes noire et employée de maison, mais elle n’a rien à voir avec les esclaves de maison de Margaret Mitchell. Son parler est plus moderne, plus direct. Elle n’a pas sa langue dans sa poche. Bref, pas de français simplifié avec le retrait systématique du r, pas d’emploi des verbes à l’infinitif, pas de moi à la place de je. Et c’est ainsi que, après plusieurs tentatives et lectures à voix haute afin de retrouver la même scansion, « If an’ if an’ if, she said. You if yourself crazy. I been ifin’ around lot longah dan you have, an’ whut it get me ? » a donné : « Et si et si et si, dit-elle. T’es en train d’te rendre malade avec tes si. M’suis dit « et si et si » d’puis plus longtemps qu’toi, et qu’est-ce que ça m’apporte ? »
Je voudrais aussi évoquer les dernières pages du roman. Traduire pour moi, c’est plus que rendre le plus fidèlement possible la langue d’un écrivain, c’est m’approprier en quelque sorte son monde, non pas en me mettant à sa place, mais à la place de ses personnages, en faisant mienne leurs émotions, leurs désirs, leurs révoltes. Aussi, quand Lonnie perd son grand-père, j’étais avec lui sous les combles de la grange, pendant les visites de condoléances des voisins, à l’église quand la soprano entonne son solo qui le bouleverse, et j’ai assisté, aussi révoltée que lui, à la cérémonie religieuse, en contradiction totale avec les idées d’Homer, et écouté la longue suite de mensonges que débite le prédicateur quand il prononce son oraison funèbre.
Larry McMurtry est mort cinq mois après que j’ai rendu ma traduction. Cavalier, passe ton chemin, le titre qu’il a choisi est un vers du poète irlandais, William Butler Yeats, qui figure sur sa tombe. Quelle belle épitaphe à graver sur celle de Larry.

* Josette Chicheportiche a traduit entre autres Jean Hegland, Margaret Mitchell, Julian Barnes. Cavalier, passe ton chemin (262 pages, 22,40 e) paraît aux éditions Gallmeister.

Josette Chicheportiche*
Le Matricule des Anges n°228 , novembre 2021.
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