Après avoir tracé dans le remarqué Armen (Arléa, 2020) la douloureuse biographie d’Armen Lubin, poète d’origine arménienne, Hélène Gestern façonne un roman dont tous les personnages s’inquiètent de l’œuvre du compositeur napolitain Domenico Scarlatti (1685-1757), l’homme aux 555 sonates, fils d’un autre compositeur de l’âge baroque, Alessandro Scarlatti. Équivalent pour le clavecin du violoniste virtuose Paganini, Scarlatti composa à partir de l’âge de 50 ans ses sonates extraordinaires pour l’infante Maria Barbara de Bragance, « laide, très cultivée et merveilleuse musicienne ». Depuis, les amateurs de Scarlatti cherchent toujours la 556e sonate (et les suivantes), convaincus que des partitions fabuleuses existent, oubliées…
Hélène Gestern compose avec ces éléments de l’historiographie scarlatienne une histoire pleine de détours où l’amour, le deuil et la désillusion tiennent la place essentielle : un ébéniste découvre une partition derrière la toile d’un étui de violoncelle. Elle a les caractéristiques d’une sonate où seraient condensées les manières admirables de Scarlatti. Un grand chassé-croisé débute entre un universitaire imbu, une claveciniste amoureuse de talent, vieillissante, un collectionneur belge endeuillé, l’ébéniste abattu par le départ de sa femme, son associé coureur de jupons… Tous s’expriment à leur tour dans cette histoire d’amertume et de vengeance qui se lit comme un roman noir. Les disparitions d’une épouse ou d’un frère, lequel avait lui aussi un talent considérable, sont curieusement le moteur de ce récit qui vibre à chaque page de l’amour de la musique qui sait nous transfigurer.
À l’évidence, 555 est un hommage à Scott Ross, remarquable interprète de l’intégrale des sonates de Scarlatti, mort à 38 ans du sida non loin du clavecin à double clavier du château d’Assas (Hérault) où « se gravent au disque » – expression consacrée – les grands enregistrements de clavecin en France. On peut noter que Ross enregistra une 556e sonate sans que personne ne le remarque : elle était de sa main… « Vive felice » comme l’écrivait Scarlatti.
Éric Dussert
555
Hélène Gestern
Arléa, 460 pages, 22 €
Domaine français 555
janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229
| par
Éric Dussert
Un livre
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°229
, janvier 2022.