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Domaine français Paroles en archipel

janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229 | par Christine Plantec

La romancière Marie Cosnay livre un texte politique magistral et éprouvant sur la migration en donnant voix aux exilés.

Il est des livres qu’on préférerait ne pas écrire. Mais la misère de ce temps est telle que je me sens obligée de ne pas continuer à me taire ». Les propos liminaires d’Annie Le Brun à son Du trop de réalité, essai de 2001, auraient pu être ceux de la romancière Marie Cosnay pour Des îles, dernier opus qui inaugure chez son éditeur une série d’ouvrages consacrée à une histoire orale de l’exil vers l’Europe.
Depuis de nombreuses années, entre écriture et militance, l’autrice engagée auprès des réfugiés, élabore des odyssées contemporaines cristallisant des problèmes que l’Europe n’est pas en mesure de résoudre. Ainsi le prologue de Des îles pose-t-il les antécédents du drame en train de se produire sous nos yeux, drame invisibilisé à coups de traités successifs, de statistiques et d’acronymes : « La politique d’immigration européenne créait des lieux de fiction : Dublin III, le règlement, enfermait les gens dans ces pays qu’après 2008 on s’était pris à appeler les PIGS. Il s’agissait des premiers pays d’entrée en Europe, ceux du Sud. (…) Nous étions en silence, devant une tragédie immense. Des frères cherchaient des frères, des sœurs. Des parents, des fils, des filles. Sans moyens adéquats, il me fallait mener l’enquête autour des mers et des villes inhospitalières. L’enquête multipliait les hypothèses. Une façon de faire l’histoire de ce phénomène muet de notre XXIe siècle, la disparition des populations ».
Le 26 janvier 2020, Marie Cosnay quitte Bayonne pour se rendre en Grèce sur l’île de Lesbos dans le camp de Moria où vivent 12 000 réfugiés. Son périple s’achèvera aux îles Canaries en avril 2021 dans une prison à ciel ouvert où arrivent d’Afrique ceux qui ont dû renoncer à la voie méditerranéenne du fait d’un renforcement draconien des contrôles. Dix-huit mois durant, elle aura rencontré des migrants, les aura aidés dans le dédale administratif, elle les aura écoutés puis elle aura collecté leurs témoignages. Son récit est fait de toutes ces rencontres, ces voix. Et entre toutes ces vies racontées, un fil ténu reliant les histoires entre elles : « des voyages obstinés, la mort déjà venue à laquelle s’arracher, le monde sous les pieds, des dialogues, des récits, des familles étranges, éclatées (…). Des îles. Des forteresses ». La mort partout et tout le temps, celle qui chasse hors du pays et rôde dès la première frontière franchie comme le dit l’un de ces exilés : « on est soi-même le deuil, on ne porte rien, ne peut rien porter, on est le poids, la lourdeur enclose dans la lourdeur. Personne ne va sans fantômes. Soit tu fonces, soit tu te retournes, dans tous les cas tu peux mourir ».
On sort rincé de ce texte choral, la sensation d’être au plus de ces hommes et femmes qui se battent pour vivre quelque part : Moïse, Ahmed, Adama, Fatou, Thierno, Baba Thomas… Leurs prénoms comme autant de géographies sonores, de traces de leur parcours, d’identités en transit mais bien vivantes contrastant avec le silence des morts et des disparus, de ceux qui n’auront pas de stèle.
Mais la fatigue qui gagne le lecteur est aussi due à cette course contre la montre dans laquelle l’autrice nous fait entrer. Ordonnant le récit, les dates créent un état d’urgence. Une fois parvenu de l’autre côté, un autre insupportable commence : « on fait des corps vivants des habitants du camp des corps incapables, et par la passivité qu’on leur impose, on ne peut s’empêcher de penser qu’on les identifie aux déchets eux-mêmes ». La durée se traverse tout autant que s’éprouve la violence d’une politique d’immigration européenne qui s’étouffe dans ses paradoxes. « La mise à l’écart du droit d’une partie de la population est une mise au flou. On en vient à ne pas pouvoir distinguer sujet et objet de la violence » d’autant que subsistent entre Etats de UE l’absence d’équité entre pays d’accueil et des divergences indépassables. Et comme le formule si justement Roudy dans le camp de Moria, « on était dans une impasse. Alors que toutes ces intelligences, assemblées, ces volontés  ».

Christine Plantec

Des îles
Marie Cosnay
L’Ogre, 175 pages, 21

Paroles en archipel Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°229 , janvier 2022.
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