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Domaine français Le sable y est

mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231 | par Jérôme Delclos

À enquêter sur un bâtiment vidé de ses habitants, Sophie Poirier construit et habite sa propre quête. Une belle architecture du temps et de l’intime.

L’anglais a une expression pour le tourisme de la désolation : le « dark tourism ». Charters pour Tchernobyl, le Rwanda, Fukushima, etc. On connaît aussi, prisée par les graffeurs, la mode underground de l’Urbex – « urban exploration » – qui consiste à crapahuter dans des friches d’usines, d’hôpitaux, de prisons, et autres lieux désaffectés et interdits au public. À le feuilleter trop vite, Le Signal pourrait donner l’impression de participer de l’une ou l’autre de ces tendances voyeuristes un peu troubles, ce que confirmeraient les photos à la fin du livre et le fait qu’il ait été précédé d’un blog, d’expos comme Appartement témoin, « Installation composée d’objets collectés autour de l’immeuble Le Signal (…) ». Mais Le Signal, empruntant son titre à son objet et sous-titré « Récit d’un amour et d’un immeuble », révèle une démarche plus secrète, plus intime, et pour le dire en un mot strictement littéraire.
Du reste, Sophie Poirier n’évite pas la question de son propre voyeurisme, intrusif et violent pour les occupants évacués en 2014 de cet immeuble condamné par l’érosion de la dune : quand eux découvrent, sur son blog, des photos de leurs appartements vides, où ils ont, dans l’urgence de la décision préfectorale, abandonné des meubles et objets personnels. Mais l’histoire de cette opération immobilière à Soulac-sur-Mer à la pointe du Médoc (une « fin des terres »), celle d’un immeuble dominant l’océan, avec vue imprenable sur la marée et le phare de Cordouan, est de toute façon violente. Retracé dans sa chronologie, ses enjeux, financiers, sociologiques (des logements bon marché), historiques (l’amnésie : la ville avait déjà connu à la fin du XIXe siècle des maisons écroulées), c’est le récit d’un fiasco, dramatique pour les occupants du Signal qui, ceci dit, avait mal démarré : « 76 logements au lieu des 200 envisagés », on a tôt renoncé à édifier plus d’un corps de bâtiment. De là à y entendre un mauvais signal, non. « Dans les années 1970, rappelez-vous : on peut habiter un immeuble qui s’appelle Le Signal sans avoir d’inquiétude. Pour quelque temps encore, donc, la vie ressemble aux Trente Glorieuses. Tout va bien. »
Une fois dressé l’état des lieux, clinique et bien documenté, des conditions de la catastrophe, Poirier nous entraîne dans son errance mélancolique dans le ventre de la bête morte, un inventaire pudique, sans jamais s’y fixer, des vestiges de l’époque insouciante durant laquelle l’immeuble était habité, vivait. Débris d’histoires de vie, reliques – jouets, livres, ici où là une chaise en plastique –, rencontres fugaces avec des évacués, ou furtive avec « Éric », qui fait « le métier de bouquiniste avec celui d’écrivain » (les vieux lecteurs du Matricule l’auront reconnu). Dans le temps de cette humble archéologie, le lieu, qui a sa propre vitalité, se révèle aussi comme le témoin muet de sa transformation… en baisodrome : « c’est un coin pour ça, on donne des codes, il peut y avoir des rendez-vous, ou des hasards, ou des inconnus. Ces zones à l’abri de la vie normale – où l’on peut se cacher autant que s’exhiber – sont des lieux pour jouir. Est-ce que ça compte ? » On comprend mieux le lien entre l’« amour » et l’« immeuble »  : non pas seulement dans la charge affective, émotionnelle, pulsionnelle, que Le Signal concentre pour ceux, habitants, flâneurs, ouvriers du BTP, qui l’ont connu vivant ou le connaissent exsangue, mais dans le fait qu’il devient un temple où se joue un mystère, qui n’est autre que celui d’une écriture, très belle. Le lecteur l’éprouve à un point de bascule du récit, un chapitre en incise qui nous envoie ailleurs. « C’est sur une île grecque, parmi celles du Dodécanèse. Sur le plan de l’île, on lisait cette citation d’un poète grec ancien : Tu ne trouveras ni cap ni port pour y entrer et jeter l’ancre ». Rien de nouveau sous le soleil : « L’hôtel White Beach se superposait au Signal ».
La narration alors s’infléchit en une quête, où le vide que laissera la destruction du Signal ouvre sur d’autres pistes, intimes, tandis que l’autrice voit le livre s’écrire avec ses trouvailles, et ses aveux. « Je mens un peu, je ne dis pas tout. Je cherche le personnage principal de ce récit. » C’est certes Le Signal, et autre chose, à dégager des décombres. Ça s’appelle la littérature.

Jérôme Delclos

Le Signal
Sophie Poirier
Inculte, 120 pages, 13,90

Le sable y est Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°231 , mars 2022.
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