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Domaine étranger Poésie soviétique

avril 2022 | Le Matricule des Anges n°232 | par Guillaume Contré

Génial écrivain comique, Sergueï Dovlatov savait mieux que personne tirer le portrait amer et sensible de la vie sous un régime absurde.

Toute l’œuvre du Russe Sergueï Dovlatov, disparu en 1990, dont les éditions La Baconnière ont entrepris la réédition depuis quelques années, est écrite sous le signe d’une double malédiction : celle, d’abord, de l’impossibilité de publier en URSS, puis celle de l’exil plus ou moins forcé de l’auteur en 1978 vers les États-Unis, ce qui lui permettra certes de publier enfin librement, mais lui fera également expérimenter le désenchantement d’une communauté d’exilés ankylosée et guère stimulante.
Dovlatov, aussi désabusé qu’il soit (ou justement parce qu’il l’est), est un humoriste brillant qui sait tirer parti de son sens de l’observation. Il le met constamment à profit et il faut reconnaître qu’il n’a pas à aller chercher bien loin dans un pays aux fonctionnements ubuesques, peuplé de personnages aussi grotesques que touchants, qui se meuvent comme ils le peuvent entre quelques options, toujours les mêmes : l’indifférence, les vapeurs de la vodka ou assumer en ventriloque la pantomime du régime. Ainsi, dans Le Domaine Pouchkine, comme dans La Valise ou La Filiale, réédités ces dernières années, ce sont les détails d’une réalité branlante, probablement moins exagérée qu’elle n’y paraît sous sa plume de conteur affabulateur, qui donne au récit sa profondeur.
Le narrateur, Boris Alikhanov, auteur non publié et impubliable, alcoolique notoire dominé par « un sentiment de catastrophe et d’impasse », part se ressourcer, si l’on peut dire, gagner autrement dit quelques misérables roubles, loin de Saint-Pétersbourg où sa femme, de qui il s’est séparé, semble décidée à quitter le pays en compagnie de leur fille, une décision radicale à laquelle Boris se refuse (quitter la langue russe, la seule chose qui lui reste, est une perspective trop douloureuse).
Le voici embauché, à Pskov, comme guide au domaine Pouchkine, figure écrasante s’il en est du panthéon littéraire russe, célébrée par le gouvernement qui l’a érigée en objet de dévotion obligatoire. À quoi bon, dès lors, s’irriter face à « l’ignorance abyssale » de touristes « indifférents à la poésie » venus des quatre coins des républiques soviétiques, puisque « le comité de loisirs leur avait forcé la main en leur proposant cette excursion à tarif réduit ». Pouchkine, après tout, n’est qu’un « symbole culturel » et Boris Alikhanov, bombardé guide improvisé, l’a bien compris. Il ne se soucie guère d’exactitude dans le discours qu’il offre aux visiteurs, il lui attribue les vers d’un autre et invente les détails qui lui conviennent. D’autant que dans la maison-musée du poète, aucun des objets présents n’a été vraiment les siens, ce qui déconcerte un narrateur qui, sous ses airs désabusés, n’en reste pas moins un idéaliste.
Quoi qu’il en soit, en bon soviétique, il s’adapte, dans un « bien-être pitoyable » : « ma vie avait acquis une certaine stabilité, j’essayais de réfléchir le moins possible sur des thèmes abstraits. Mes malheurs étaient relégués hors de mon champ de vue. Quelque part derrière mon dos. Tant que je ne regardais pas en arrière, j’étais tranquille ». Il se remet à écrire, « des croquis bizarroïdes », « une sorte de bilan aux silhouettes floues et aux motifs incertains », auquel il ajoute, « comme disait Dostoïevski, une nuance de sens transcendant ».
Il loge dans le village d’à côté, où il loue une chambre miteuse chez Mikhaïl, un autre alcoolique notoire, lequel se lance dans des séances d’imprécations solitaires qui feraient froid dans le dos à une personne moins dotée d’empathie que ne l’est Boris. Car derrière les assauts d’ironie cinglante, derrière les apparentes fanfaronnades d’un narrateur qui ne fait pas toujours dans la dentelle, il y a une sensibilité toujours prête à prendre le dessus et un amour du prochain qui permet à l’auteur de tirer des portraits d’une grande humanité.

Guillaume Contré

Le Domaine Pouchkine
Sergueï Dovlatov
Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs
La Baconnière, 160 pages, 14

Poésie soviétique Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°232 , avril 2022.
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