Publié de manière posthume, La Stupeur est le dernier des romans d’Aharon Appelfeld (1932-2018). Celui qui connut enfant l’enfer d’un camp nazi et s’en évada, ne peut que revenir sur les terres de l’antisémitisme le plus furieux, parmi les décombres de l’Histoire, et plus précisément en Ukraine au début des années 1940. Cette fois notre romancier convoque une curieuse héroïne. Elle s’appelle Irena. La femme a perdu ses vaches et il ne lui reste qu’un brutal mari. Découvrir l’épicier juif et sa famille « alignés » devant le gendarme Ilitch la révolte. Buté, celui-ci répète que les Allemands « sont le symbole de la culture ». Les villageois pillent la maison en attendant l’assassinat qui ne manque pas de se produire.
La « stupeur » d’Irena face à la violence allemande et paysanne, face aux pancartes proclamant « Zone nettoyée de ses Juifs », face à l’antisémitisme assumé de la population, ravive son désir de voyage vers la « Tante Yanka » et les montagnes. Cette dernière avait aimé un étudiant juif, répétant : « Jésus était juif ». Mais ne s’agit-il pas d’« un territoire qui n’était pas le sien » ? Comment alors, au-delà de la prière et des icônes, donner un sens à sa vie ?
C’est ainsi qu’après la mort de son mari Anton, dans une bagarre, elle va trouver sa liberté et « servir la sainteté ». Mieux encore, elle va mener une errance prophétique, prêchant sur les chemins et dans les auberges, insultée, frappée par les hommes, mieux comprise par les femmes, en particulier les prostituées. Comme pour racheter l’impardonnable. Le récit, intensément réaliste, tragique, est émouvant. Aharon Appelfeld sait donner à sa parabole sur la culpabilité une profonde humanité, une portée universelle. Au travers de personnages simples, l’Histoire et la métaphysique affleurent dans toute leur acuité.
Thierry Guinhut
La Stupeur
Aharon Appelfeld
Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti
L’Olivier, 256 pages, 22 €
Domaine étranger La Stupeur
avril 2022 | Le Matricule des Anges n°232
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°232
, avril 2022.