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Domaine étranger Éructations écrites

juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235 | par Dominique Aussenac

Par un roman dru, expérimental et crépusculaire, le Taïwanais Wang Wen-hsing soliloque en réinventant sa langue.

Un Homme dos à la mer

Après l’Ukraine, au tour de l’île de Taïwan d’être envahie ? Certains prétendent que le tigre et frère ennemi chinois s’en pourlèche déjà les babines. Wang Wen-hsing est né en 1939 à Fuzhou en Chine continentale. La guerre civile opposant communistes et nationalistes l’a forcé avec des milliers de compatriotes à se réfugier sur l’ancienne Formose. Ce déracinement, cette brisure, cette mutilation palpitent au cœur des nouvelles et romans de l’auteur qui un temps partit aux États-Unis décrocher un master en écriture créative. Sa nouvelle « La Tour du Dragon » publiée en 1967 décrit des généraux qui fêtent en exil l’anniversaire de l’un d’eux. Ils apparaissent comme des fantômes ayant vécu une déroute humiliante. Ils ne sont plus rien, que l’ombre de leurs chiens, leurs âmes sectionnées.
Son premier roman Processus familial (Actes Sud, 1999) fit scandale par son cynisme, l’effacement de la mémoire préconisé pour s’affranchir des traumatismes du passé. Un père sort de chez lui en pantoufles et disparaît. Son fils le quête obsessionnellement jusqu’à décider de l’oublier pour se permettre d’atteindre le bonheur.
Wang Wen-hsing étonne et détonne par son écriture qui se rattache à la fois à la tradition, à la littérature chinoise classique, mais aussi à la modernité occidentale et révèle un travail d’artisan inouï sur la forme, la langue qu’il n’en finit pas de déconstruire et reconstruire, la rapprochant le plus possible d’une oralité populaire, tout à la fois inventive et triviale.
Un homme dos à la mer, son deuxième roman – il en a écrit trois à ce jour –, aurait nécessité vingt-cinq années de labeur, à raison dit-il d’une trentaine de caractères par jour. Il s’agit d’un monologue curieux où une espèce de paria borgne affronte une réalité à son image, aussi absurde et sordide que lui. Il s’est réfugié dans un port au bord de nulle part, l’activité principale est la pêche mais par une curieuse déraison il n’y a plus de poissons. Paysans, pêcheurs, voyous, pauvres hères, prostituées se bousculent sur des sentes, des impasses, des huis clos. Il interpelle à tout bout de champ (chant ?) un être qu’il appelle le Chef et qui semble contenu en lui-même comme si le narrateur et le narré ne faisaient qu’un, schizophréniquement. Tous deux donc s’instaurent devin, grognent, déforment les mots, les apocopent, s’attardent sur un signe calligraphique, un idéogramme particulier. L’écriture prend alors des airs d’incantations chamaniques, parfois un mot explose dans une étrange fumée, un lac d’acide. Ils introduisent une nouvelle musicalité, un contre-chant. A l’instar d’Ulysse de Joyce auquel l’ouvrage est comparé, la lecture est ardue, le lecteur doit faire preuve de patience, la narration n’offre pas de véritable sens, s’englue dans une certaine banalité, une horreur triviale, obscène presque mystique. Mais l’écriture hachée, scarifiée, démembrée finit par nous tendre un miroir. Le Chef, en fait, c’est nous, avec tous nos petits déboires du quotidien, nos raclures de vie, nos oripeaux vaniteux et nos corps donnés en pâture aux vers ou aux feux futurs. Paradoxalement, cette révélation produit moins de compassion que de rires salvateurs. Un grand rire dément nous envahit, une dimension burlesque nous entraîne, un hennissement d’inconséquence éclate et cela peut faire du bien. On s’y ressource en anima et en universalité. « FÔ pas 100 faire, y’a rien à craindre,____ ____ cela ne peut pas faire de mal, c’est sûr ça ne peut pas faire de mal,____ y fÔ juste prendre son courage à 2 mains ça sera fini en un instant, juste quelques minutes et tout absolument tout sera terminé que ce sera____ ça peut vraiment pas faire de mal ».
La méconnaissance de la langue chinoise écrite ou parlée, de ses signes, mais aussi de la culture, la mythologie et des cosmos dans lesquels ils ont pu baigner priveront le lecteur lamba d’une dimension importante. Mais, ici le sens n’est pas à privilégier. Le langage créé par l’auteur se projette dans un au-delà de la langue comme s’il voulait imposer une nouvelle manière d’écrire. Il territorialise sa littérature, à la fois musicalement et plastiquement comme Faulkner le fit avec ce pays inventé, le Yoknapatawpha, berceau de son œuvre. Chez Wang Wen-hsing pas d’histoires ou trop d’histoire, seulement un ruisseau en jaillit, un torrent de beauté, d’incongruité et d’ordures. C’est suffisant pour en faire un immense écrivain, difficile à lire certes, mais explosant les codes tout en se référant à une tradition blessée. Une sorte de Picasso littéraire. Spéciale dédicace à Camille Loivier pour la traduction lumineuse de cet Empire de signes opaques.

Dominique Aussenac

Un homme dos à la mer
Wang Wen-hsing
Traduit du mandarin (Taïwan) par Camille Loivier,
Vagabonde, 400 p., 22

Éructations écrites Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°235 , juillet 2022.
LMDA papier n°235
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