Un livre

Un palmier en Arctique. Voyages imaginaires à travers l’Europe

de Nick Hunt

Editions Gallimard

Être ailleurs mais pas si loin. Oublier les heures. Se fier à la lumière et se laisser tomber dans une autre dimension. Poser un pied après l’autre vers l’inconnu. Découvrir les traces de l’Histoire, sa route chaotique depuis la nuit des temps, « se retrouver entre le passé et l’avenir ; entre ce qui s’étire sous nos pieds et ce qui se profile à l’horizon ». Humer les vents, la pluie, la neige, les nommer avec justesse. Embrasser les sciences, de la météorologie à la géographie, et se rendre à l’évidence : la poésie naît aussi de nos peurs lorsque l’on assiste en direct au grand chamboulement de notre planète plus si bleue que ça.
Après avoir traqué les vents – l’helm au nord de l’Angleterre, le mistral dans la vallée du Rhône, le foehn sur les versants alpins et la bora sur l’Adriatique et écrit leurs histoires*, Nick Hunt est parti à la rencontre de quatre lieux insolites rien qu’en Europe. Avec humour, il se met en scène juste ce qu’il faut et emmène – pour ainsi dire dans son sac à dos ! – le lecteur à l’aventure.
Nous voici sur une zone polaire, les Cairngorms, en pleine Écosse, où l’on se met à l’affût de sons comme le cliquetis que font des rennes croisés dans ce no man’s land : « Les tendons de leurs pattes claquent sur leurs os, ainsi conçus pour qu’ils puissent se suivre dans le blizzard. » D’un bond de quelques pages, nous échouons en Pologne au milieu de ses bois de bouleaux argentés chers à Wajda, ces « arbres vus au rayon X, des négatifs photographiques », qui rappellent aux grincheux réactionnaires que cette « forêt âgée de douze mille ans est plus ancienne que les temps bibliques et qu’elle menace directement la théologie chrétienne ». Cap au sud, nous tombons dans le chaudron d’une Espagne « cuite à vif » à l’extrême sud-est de l’Andalousie désormais devenue mer de plastique d’une blancheur réfléchissante, où des milliers de tunnels pour l’agroalimentaire s’étendent à l’infini. Et pour terminer ce tour des voisins, se souvenir des récits de Patrick Leigh Fermor lors d’une escapade dans les steppes de Hongrie, la Puszta « un morceau d’Asie échoué au cœur de l’Europe ».
Dans le sillage du Berlin-Moscou, un voyage à pied de Wolgang Büscher ou du Garçon sauvage de Paolo Cognetti, Nick Hunt fait du reportage une expérience aussi intellectuelle que physique – mieux, charnelle : maîtriser ses chevilles sur des sentiers qui se dérobent ; résister au froid comme au chaud ; ne pas succomber aux peurs ancestrales, fantômes, lutins, loups et aux autres mythes qui règnent dans ces paysages parfois de fin du monde ; avoir en mémoire des images de science-fiction détruisant la nature, et les voir « pour de vrai », les vivre en se disant qu’il est déjà trop tard… Hunt conclut son récit : « Il ne me reste plus qu’à nous souhaiter bonne chance à tous… »


Martine Laval

* Où vont les vents sauvages, Hoëbeke, 2020

Un palmier en Arctique.
Voyages imaginaires en Europe
Nick Hunt
Traduit de l’anglais par Alexandra Maillard
Gallimard, 330 pages, 24 €