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Essais Sous le signe de Janus

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Richard Blin

Fidèle à une méthode qui privilégie la monstration plutôt que la démonstration, Bruno Remaury poursuit son exploration de notre modernité. En s’attachant cette fois aux figures de l’enfant et du héros.

Le Pays des jouets

Volume après volume, tel un seul livre en train d’être décliné en plusieurs livraisons, Bruno Remaury continue d’explorer les aspects pluriels de notre rapport au monde. Par le moyen de la chronique, et au fil des chemins de traverse de l’essai, il s’attache à montrer la manière dont la modernité a changé les cadres de pensée avec lesquels on considère le monde qui nous entoure. Après avoir traité, tour à tour, du basculement d’une verticalité sacré à une immanence horizontale (Le Monde horizontal, 2019), de notre relation au temps (Rien pour demain, 2020) et de la manière dont s’est coupé notre lien à la nature (L’Ordre des choses, 2021), c’est la façon dont notre modernité, en cédant à la nostalgie des commencements, s’est retrouvée à articuler infantilisme et totalitarisme, qu’il traque dans Le Pays des jouets.
Un cheminement qu’il raconte par le truchement de ceux qui en ont été les acteurs ou les témoins directs. Se situant à la confluence de leurs voix – et agissant comme un conteur à la curiosité nomade qui serait aussi un colporteur de textes et d’images – il cite, pointe, interpelle, entrelace des temporalités, ce qui est sa manière de faire littérature en combinant la passion du fragmentaire et de l’oblique pour développer une vision du monde s’élaborant par dérive narrative, rapprochements marquants et coïncidences troublantes. Tout un art du tissage qui mêle éléments factuels et silhouettes romanesques, dates historiques et temps intime.
Le livre s’ouvre sur la réalité sociale de l’Italie des années 1920-1930, celle où de jeunes fascistes pris dans « une camaraderie pétrie d’euphorie collective » agissent « comme si leur vie entière se passait au pays des jouets des Aventures de Pinocchio ». Pour comprendre pourquoi de jeunes garçons se sont mis à jouer à la guerre, il faut, nous dit Remaury, remonter un peu en arrière, vers d’autres enfances, « tendres celles-là », comme celle du petit Charles, qui n’est pas encore Lewis Carroll. Une enfance heureuse qui cessera avec les années de collège où règne la loi du plus fort. Alors il rêvera, imaginera, jusqu’à l’achat de son premier appareil photographique et le début de ses promenades avec trois sœurs dont une Alice qui deviendra la pierre d’angle de l’œuvre que l’on sait.
Il n’est pas le seul à être fasciné par l’enfant, tout le XIXe siècle l’est. Au moment où la modernité a « tout réglé, ordonné, assemblé », elle se met à regarder l’enfance « avec gourmandise et avidité ». Dans le même temps qu’elle la rêve, cette enfance, elle sacrifie par milliers ses enfants au développement de la grande industrie du monde civilisé. Terrible réalité qu’elle va masquer et racheter par la magie d’un Wonderland, l’invention du pays d’enfance, un monde vu avec un regard d’enfant tel que les adultes se l’imaginent.
Mais là où le XIXe siècle considérait encore l’enfant de toute sa hauteur, le XXe siècle va le mettre sur un piédestal, « à hauteur de héros ». Et Remaury de jalonner la voie qui a mené au culte du héros et à l’exaltation de l’enfance. Elle passe par Rome, Nicolas Poussin, William Beckford, la première grande Exposition Universelle, les photographies de Julia Margaret Cameron, les poèmes d’Alfred Tennyson, Walt Disney. Une évolution qui voit le héros, « habitant naturel de l’enfance des peuples » n’être plus « celui qui se tient à une source universelle comme Moïse ou Orphée » mais celui de l’histoire « d’un seul pays, d’une seule race ». De la rêverie sur les grands mythes de l’histoire universelle, on a peu à peu glissé à l’exaltation de l’enfance mythique de chaque peuple. Une façon de se tourner vers l’arrière qu’on retrouve jusque dans les avant-gardes artistiques cherchant à régénérer le regard à partir d’une innocence de l’art, qu’elle provienne d’un ailleurs, du passé ou de l’enfance elle-même. Il y a là l’idée qu’on pourrait remettre à zéro le compteur de l’histoire comme ce fut le rêve du fascisme et de la Révolution française. Redémarrage du temps, retour aux origines, au paradis perdu, à l’âge d’or.
Le pays des jouets est celui de Walt Disney et des parcs d’attractions, celui d’une modernité tenaillée par la perte de l’innocence qui, comme telle, est cette ignorance qui laisse place à la notion de pureté dont on sait sur quels massacres elle débouche. Il est ce monde où se conjoignent mythe, enfance et violence en une « synthèse dévoyée » qui rend « dramatiquement fascinant » le fascisme et les régimes totalitaires.

Richard Blin

Le Pays des jouets,
Bruno Remaury
Corti, 176 pages, 17,50

Sous le signe de Janus Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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