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Domaine français Ce que parler veut dire

octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237 | par Flora Moricet

Remarquable mise en scène de la parole, véritable feuilleton de la pensée, le onzième livre de Gaëlle Obiégly libère un imaginaire irrésistible.

Elle grandit en Beauce puis échoue à étudier l’histoire de l’art dans une université à Paris. (…) Puis elle part en vacances en 1993 aux États-Unis », à lire sa page Wikipédia, on se dit qu’il n’y a qu’elle pour se présenter comme ça. L’autrice de 51 ans, habitée par la question de la parole et de l’aveu depuis son deuxième roman, Le Vingt et un août (L’Arpenteur, 2002), poursuit une forme intime impersonnelle, élaborée patiemment, au gré d’une œuvre riche et passionnante. « N’être personne, c’est être caractérisé par l’élan, la curiosité et l’absence de discours », déclarait-elle dans un entretien à la radio. Une écriture qui s’épanouit prodigieusement dans son dernier texte, Totalement inconnu. Bienvenue dans une conférence… captivante.
Tout débute par une réceptionniste, la narratrice, qui entend une voix dans son oreille droite et qui, de façon « rarissime se manifeste à gauche ». Entre autres choses étranges, elle reçoit des instructions et ressent « la présence active du soldat inconnu » en elle. Commence sa conférence et elle a beaucoup de choses à nous dire et de questions à poser : « Qu’est-ce que nous savons quand nous sommes morts ? », « comment c’est d’être mort ? », « est-ce que ce que vous savez vous suffit ? », la conférencière promet d’y réfléchir et de prêter une attention d’enquêtrice à cette histoire de connaissance.
Associations d’idées et de sonorités, souvenirs de tranchée, drôles d’images et de paysages étrangement familiers, les mots et les pensées les plus censurées fusent. On serait plus proche d’une longue note vocale que d’une séance de psychanalyse puisque la parole ne se manifeste pas pour nommer des symptômes ni pour rejouer des traumas, mais pour interroger le langage, le monde tangible ou non, cette mystérieuse voix et tous ces morts qu’elle charrie et qu’il faut bien accueillir. Une conférence suppose un auditoire, condition sine qua none pour être écoutée et donc aimée, confie-t-elle, ainsi qu’une estrade « non pas pour se faire voir mais hisser haut les actes et les affects clandestins ». Toujours teintée d’humour mais sans avertir, la voix de la conférencière va prendre de l’ampleur, devenir plus grave, à l’image de sa grand-mère aux confins de la vie. Le portrait d’Yvette donne lieu à de magnifiques pages sur la vieillesse.
Lecture active, on est souvent tiré par la manche, comme par un enfant qui, tandis qu’il s’exprime, craint de ne pas capter toute l’attention : « Êtes-vous à l’aise avec votre date de naissance ? (…) la mienne me donne satisfaction ». Et la romancière ménage ses effets d’annonce : « je l’ai déjà dit (…) je ne l’ai pas dit encore…  », à notre tour de vouloir tout savoir. Gaëlle Obiégly a précisément l’art de cultiver un état d’enfance dans lequel aucun mot ne va de soi, où tout est sujet à être décortiqué, et rien n’est laissé à l’ignorance. On finit par boire son verre d’eau tout doucement, à le reposer sans faire de bruit, par peur d’interrompre la conférence ou de manquer un mot. 
Qui est donc ce soldat inconnu qui ressemble à un « concept », même si elle n’est pas sûre du mot ? Une présence en tout cas suffisamment puissante pour la faire devenir « une femme et un homme » simultanément, et sans doute jusqu’à se neutraliser car « devenir le soldat inconnu, c’est consentir à n’être personne ». On reconnaît là son désir d’une écriture « désinfectée », d’un « je intermédiaire », « plus durable que (s)a personne au jour le jour », intimé de « parler en son nom, comme n’importe quel mec de base, solitairement, pour personne ».
Affaire de corps, la conférence est aussi l’occasion de déployer une écriture performative, souvent à mi-chemin entre la poésie, l’art et la vie : « certaines phrases provoquent chez moi des difficultés respiratoires et des états de somnolence ». Ponctué d’œuvres d’artistes contemporains (Boris Achour, Peter Weiss…) et de réjouissantes fulgurances obiéglyennes comme cette proposition d’« ériger des monuments aux erreurs », après avoir imaginé « un musée des valeurs sentimentales » (Verticales, 2011), Totalement inconnu rappelle le très beau Œuvres d’Edouard Levé. Le poète plasticien inventoriait des œuvres d’art insolites jamais réalisées. Il y a beaucoup de l’auteur d’Autoportrait dans le texte de Gaëlle Obiégly, sous une forme plus étirée, plus volubile, avec un parti pris pour la confidence.

Flora Moricet

Totalement inconnu
Gaëlle Obiégly
Christian Bourgois, 240 pages, 20

Ce que parler veut dire Par Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°237 , octobre 2022.
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