Si le premier roman fantastique est celui du Français Jacques Cazotte, Le Diable amoureux, en 1772, l’Allemand Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) est le propagateur génial du genre. Dès 1829 les Français le traduisirent, Gavarni l’illustra brillamment en 1849. Quoique ses œuvres complètes figurent chez Phébus, Dans la nuit offre une initiation réunissant cinq contes, entre diableries, folies et furieuses histoires emboîtées.
Il naît à Berlin un enfant à la « silhouette difforme de radis tordu ». Est-ce la faute de la vieille sage-femme ? La sorcière est brûlée, mais la silhouette du bel et trop aimable « étranger » qui séduisit toute la ville s’en élève. Le Diable à Berlin fait preuve d’une efficacité redoutable, non sans morale implicite. Ce tropisme médiéval cède le pas aux fantômes et aux rêves brûlants. Lorsque l’on aime une jeune fille à la mère effrayante, voire satanique, ne risque-t-on pas d’avoir épousé une vampiresse : « Maudite fille de l’enfer, tu hais la nourriture des vivants parce que tu adores celle des morts ! », s’écrie le comte. Quant à cette Maison sinistre, est-elle hantée, ou faut-il « accepter l’explication prosaïque » ? Reste qu’il faut se garder des « sortilèges amoureux » : la « reine des profondeurs » des Mines de Falun prendra-t-elle possession d’Elis, aux dépens de sa raison et de sa fiancée ?
Voici le récit le plus emblématique de notre romantique. Quoique Le Marchand de sable soit une faribole pour les enfants durs au coucher, la chose reste prégnante pour Nathanaël qui se heurte au « vieux Coppelius » qu’il pense être le meurtrier de son père. La lunette de l’homme aux yeux lui permet de s’amouracher de sa voisine à la fenêtre, de danser en un rythme frénétique avec elle, de la séduire idéalement, même si elle ne répond que par des « Ah Ah », donc d’abandonner la douce Clara. La folie et le suicide sont au bout de l’obsession pour le parfait automate. « Fruit de (son) imagination » ? Le récit épistolaire hésite entre « obscure puissance psychique » du moi et manifestations de l’irrationnel, car jusqu’au bout Coppelius, le facteur d’yeux, le harcèle de son ironie…
Innombrables sont les compositeurs qui s’inspirent d’Hoffmann. Pensons au ballet Coppélia de Léo Delibes, au Casse-Noisette de Tchaïkovski, aux Contes d’Hoffmann d’Offenbach, où la séduisante automate chante avec grâce. Hoffmann écrit avec un sens du rythme, du suspense et de l’angoisse vertigineux. À son style étincelant l’on devine que le traducteur a mis tout son entrain. Cette édition est un plaisir : outre son texte et sa postface, ses illustrations stylisées tout en noirceur et blancheurs mystérieuses, à la fois enfantines et expressionnistes, par Tristan Bonnemain, sa reliure soignée, tout concourt à une aimable bibliophilie.
Thierry Guinhut
Dans la nuit
E.T.A. Hoffmann
Traduit de l’allemand par Philippe Forget
Illustrations de Tristan Bonnemain
Postface d’Élisabeth Lemirre et Jacques Ciotin
Les éditions du Typhon, 268 pages, 26 €
Histoire littéraire Paysages du fantastique
novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238
| par
Thierry Guinhut
Cinq contes illustrés du maître de l’inquiétante étrangeté, E.T.A Hoffmann.
Un livre
Paysages du fantastique
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°238
, novembre 2022.