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Histoire littéraire Les épices d’âme d’un désabusé

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Richard Blin

Il faisait de la lucidité une jouvence et professait un pessimisme radical. Les lettres de Cioran dressent, entre masque et miroir, son portrait intime.

Manie épistolaire. Lettres choisies,1930-1991

À en croire Cioran, né en 1911, en Transylvanie roumaine, et mort à Paris en 1995, « les livres sont des accidents ; les lettres, des événements ». Il l’écrit dans Manie épistolaire, un texte de 1984, donné en ouverture du livre qui, sous ce même titre, regroupe 160 de ses lettres, écrites entre ses 19 ans et ses 79 ans, et adressées à ses amis, à sa famille, à ses pairs – Mircea Eliade, Jean Paulhan, Ernst Jünger, Samuel Beckett, Armel Guerne, Roland Jaccard, Clément Rosset… S’il fait de la lettre, cette « conversation avec un absent », un événement, c’est qu’elle illumine la solitude et qu’elle est le lieu où chercher la vérité d’un auteur, son œuvre étant « le plus souvent un masque ».
Que nous apprennent donc ces lettres ? Dans celles qui vont du temps où il était étudiant en philosophie à l’université de Bucarest jusqu’à celui qui le vit arriver à Paris, en 1937, on découvre un Cioran écœuré par la médiocrité de la vie intellectuelle bucarestoise. « Je vis dans un monde trivial, dépourvu de toute distinction intérieure, incapable de paradoxe, de profondeur ou d’irrationnalité. » Il passe ses journées à lire, à écouter de la musique, et juge inutile et stupide de travailler à une thèse de doctorat. C’est un jeune furieux qui s’exprime autant qu’un ennuyé : « Un sentiment asthénique de la vie m’empêche de me réjouir de quoi que ce soit, et me torture et me détruit. » Insomniaque, soumis à une nervosité intense et constante, il souffre, et son malaise est permanent. « La souffrance m’a toutefois donné le courage de l’affirmation, l’audace de l’expression et l’élan vers le paradoxe. » C’est ainsi que naît son premier livre, Sur les cimes du désespoir, des fragments, dit-il, « presque tous lyriques et d’un radicalisme féroce, de la plus bestiale des verves ». La philosophie officielle ne l’intéresse plus. « Je ne peux plus lire de philosophie, je veux quelque chose d’immédiat, de brutal, une révélation ou un drame. » D’autres livres suivront comme Le Livre des leurres, Des larmes et des saints ou Transfiguration de la Roumanie, un brûlot nationaliste et séditieux qu’il reniera à la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont il reconnaîtra qu’« il a tous les défauts de l’inexpérience et de l’orgueil, d’un orgueil provocant et désespéré ».
Dans ces lettres, comme dans celles d’après son exil en France, on voit bien comment le discours cioranien est né de l’insomnie. Éveillé jour et nuit, Cioran semble vivre dans un crépuscule perpétuel. Privé de sommeil, il lui est impossible de se désapproprier de soi, de rompre, ne fût-ce que provisoirement, avec l’être, avec l’existence ressentie comme une malédiction. D’où le recours à l’écriture pour soulager cette tension, donner voix au jeu destructeur et autodestructeur de l’inconvénient d’être né. Comme si, d’être formulés, rage et désespoir devenaient plus tolérables, perdaient en intensité et apportaient un peu d’apaisement.
Chez Cioran, tout vient du vécu, et son scepticisme offensif relève d’une sorte de règlement de comptes avec une vie qui le condamne à vivre fatigué. Sa férocité, sa négativité, sont viscérales, sont celles d’un homme qui n’accepte pas sa condition malheureuse. « Pour moi, la vie n’a de sens que comme soif de malheur, pour ses délices mélancoliques et donc pour ces voluptés qui mêlent l’extase et la destruction. » Ne rien faire, se promener sans but, ne s’intéresser qu’à soi tout en cherchant désespérément à se fuir, la vie de Cioran a quelque chose de juvénile, d’immature et d’inimitable. Écartelé sans cesse entre la tentation de l’absolu et le sentiment de la vacuité de tout, il se vit comme une anomalie réelle et existante, et se hait dans tous les objets de ses haines.
Des lettres qui montrent aussi que ce solitaire connaissait beaucoup de monde – « Pour vivre comme je vis, sans métier précis, il me faut voir du monde, m’agiter et donner aux dieux qui président à mes destinées l’illusion de l’affairement et de l’efficacité. » – et perdait beaucoup de temps en conversations avec ses ex-compatriotes. Mais le plus surprenant est de le découvrir soudain assoiffé de oui lorsqu’à 70 ans il se trouve pris d’un désir sexuel dévorant pour une jeune lectrice. « Je voudrais enterrer ma tête sous votre jupe, pour toujours. » « Vous êtes devenue le centre de ma vie, la déesse d’un homme qui ne croit en rien, le plus grand bonheur et le plus grand malheur qui me soient arrivés. » Ironie du sort ou illustration de la personnalité sibylline et déchirée de Cioran ?

Richard Blin

Manie épistolaire. Lettres choisies 1930-1991,
Cioran
Édition établie par Nicolas Cavaillès
Gallimard, 314 pages, 21

Les épices d’âme d’un désabusé Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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