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Théâtre La violence, inlassablement

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Patrick Gay Bellile

Veronika Boutinova jongle avec l’Histoire et les anachronismes pour montrer que finalement rien ne change jamais.

Sara Jevo suivi de Jelena, juste une fois !

En 2017, à l’occasion des commémorations de la Première Guerre mondiale, Veronika Boutinova écrit Jelena, juste une fois !, un texte qui raconte par le menu l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914. Ce jour-là, un jeune militant nationaliste serbe, Gavrilo Princip, tue l’archiduc d’Autriche Franz Ferdinand, héritier du trône, et sa femme Sophie, lors de leur visite dans la capitale de la Bosnie annexée par l’Autriche-Hongrie, déclenchant ainsi par le jeu des alliances, le premier conflit mondial. C’est le second texte publié dans ce livre. Le premier texte, Sara Jevo, se passe en 2018 : une autrice, Mata, est venue avec deux comédiens français mettre en scène Jelena, juste une fois ! dans le théâtre de Sarajevo à l’occasion d’un festival. Et nous assistons aux répétitions. Le propos de Mata est clair : « Je ne crois pas au devoir de mémoire, je ne crois pas que ressasser les saloperies d’hier empêchera celles d’aujourd’hui qui couvent. Les mêmes horreurs se perpétueront immuablement, et il nous reste juste à espérer passer à travers les gouttes des pluies acides. Je crois que je suis là pour raconter ce qui a eu lieu et qui de nouveau surviendra.  »
Le talent de Veronika Boutinova est d’avoir su, dans un contexte historique, rendre extrêmement vivants et crédibles tous les personnages, aussi bien les comédiens de sa pièce que les protagonistes du second texte. Elle s’attache à leur quotidien, et nous suivons les frictions entre Maxime et Hélène, les deux comédiens, les inquiétudes d’Éric, le compagnon de Mata, resté à Paris, mais aussi les doutes et les obsessions de Gavrilo, le futur assassin. L’autrice s’attache aux petits détails qui font l’humanité des personnages : l’archiduc Franz Ferdinand a un caillou dans sa chaussure et envisage douloureusement la journée protocolaire qui l’attend. Sa femme Sophie, qui a failli ne pas venir, pense à ses enfants, ses trois enfants restés seuls et qu’elle a hâte de revoir. Gavrilo Princip, le nationaliste convaincu, membre de Jeune Bosnie, groupuscule que l’on qualifierait aujourd’hui de terroriste, est obsédé par Jelena, une jeune femme qui se refuse à lui et dont la pensée l’obsède sous la forme de rêveries érotiques. Il est atteint de tuberculose, il sait que la fin est proche, mais il ne voudrait pas mourir puceau : Jelena, juste une fois !
Dans le théâtre, les répétitions se poursuivent et un groupe de nationalistes, mal identifiés, prend place devant la porte du théâtre, établissant de fait une sorte de siège, comme si l’histoire se répétait inlassablement : Sarajevo, assiégée par les troupes serbes de 1992 à 1996, le théâtre de Sarajevo assiégé en 2018. Double mise en abyme. Et puis il y a Sara, Sara Jevo, jeune femme qui incarne toutes les victimes de cette guerre et que Mata, sortie prendre l’air, rencontre du côté du cimetière. Sara raconte à Mata, non pas le nombre de victimes, ou les horreurs de la guerre en général, mais là encore, les cas particuliers, les destins individuels : un mariage interrompu par les bombardements, un bus rempli de bébés, s’apprêtant à quitter Sarajevo, pris pour cible et mitraillé, un accouchement dans le noir, à la seule lueur d’une bougie, faute d’électricité. Et Sara pose une question : elle veut savoir qui l’a snipée. Qui lui a tiré une balle dans la tête ? Car Sara est morte pendant le siège de Sarajevo.
De nouveau le temps fait des cabrioles et nous surprend. La pièce se termine avec la première représentation en public : le rideau se lève, un montage vidéo mêle des images des différentes situations évoquées, Maxime joue Gavrilo avant l’attentat, et puis un groupe de spectateurs envahit la scène, des coups de feu éclatent, Hélène jouant Sophie s’écroule. Théâtre ou réalité ? Veronika Boutinova jongle avec trois époques, multipliant les anachronismes, au départ déstabilisants pour le lecteur, mais qui visent à affirmer que tout cela ne constitue finalement qu’une seule et même histoire, qui se reproduit et se reproduira indéfiniment, une histoire qui bégaie, inlassablement, une histoire de violence toujours recommencée. Elle formule un constat un peu pessimiste mais lucide sur l’impossibilité du théâtre à changer le monde. Du moins peut-il l’écrire : « Ecrire les horreurs du réel parce qu’elles existent. Les écrire pour qu’elles existent. » Un texte puissant qui d’abyme en abyme nous emmène au cœur des conflits. Et l’on pense bien sûr à l’Ukraine, mais aussi à la Syrie, au Yémen, à tous les théâtres de guerre…

Patrick Gay-Bellile

Sara Jevo
(suivi de) Jelena, juste une fois
Veronika Boutinova
Par ailleurs, 214 pages, 17

La violence, inlassablement Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
LMDA papier n°239
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