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Essais Respiration à deux voix

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240 | par Flora Moricet

Une savoureuse traversée dans l’univers littéraire et créatif de deux femmes de lettres inclassables, Héléne cixous et Cécile Wajsbrot.

En avril 2020, alors que le confinement vient d’être déclaré, Cécile Wajsbrot – romancière, essayiste et traductrice notamment de Virginia Woolf – invite son amie Hélène Cixous à reprendre un échange initié avec Une autobiographie allemande (2016), à partir de ce qui les réunit le mieux : la littérature. L’écrivaine et dramaturge née à Oran prend la balle au bond et réplique d’un verbe inouï dont elle partage le secret avec Joyce et Lacan : « le verbe forêcrire est à l’œuvre depuis toujours en moi ». L’invitation est lancée, avec la germaniste, nous entrerons dans la forêt, au bord de laquelle Hélène Cixous s’est réfugiée pour écrire, à Arcachon. Lettres dans la forêt est une traversée de noms, de souvenirs et de réflexions sur l’écriture. Il a rarement été aussi vivifiant de revivre ce temps sus-pendu et séparé des confinements. 
À l’appui de la littérature médiévale qu’elle aime tant, et non sans un accent nostalgique pour le roman traditionnel, Cécile Wajsbrot regrette « l’alchimie » de la fiction face aux pures recopies du réel vendues à la pelle. Elle s’interroge, sollicitant sa comparse : n’y a-t-il pas une forme romanesque contemporaine à inventer ? Cixous refuse le terme d’« authenticité » et prend le parti explosif de Joyce pour se débarrasser de toute contrainte narrative : « sans ces libertés, j’aurais irrespiré ». Et rappelle à propos de l’étiquette mortifère du « Nouveau Roman » : « il y aura toujours eu une population d’inquiets poussés par le besoin phobique de parquer, de domestiquer »
Les deux fouilleuses indociles traversent les époques avec l’agilité des chats d’Hélène, Haya et Isha. Les jumelles félines qui font à l’autrice du Rire de la méduse parler chat et se sentir sauvage : « quel mot superbe, fier, joueur, sauve âge, âge sauve-toi (…)  »
La temporalité épistolaire a l’avantage du repos et de la reprise en même temps que de la spontanéité. Cécile Wajsbrot reviendra sur son besoin de fiction qu’elle associe à son histoire familiale, la déportation de son grand-père et la guerre comme unique point de fuite. À la sentence d’Adorno selon laquelle après Auschwitz tout poème est impossible car barbare, elle lui préfère l’optimisme et la force de vie de l’écrivain Hans Günther Adler car, reformule-t-elle, « on ne peut se permettre le luxe du pessimisme quand on est un survivant ». C’est encore ce qui la ramène à plusieurs reprises au silence de Perceval qui, voyant se dérouler une étrange procession du Graal, ne pose pas une question qui aurait pu, si elle avait été posée, guérir le roi malade et mettre un terme à sa quête. Mais alors, il n’y aurait pas eu de roman conclut-elle provisoirement : « pour que la littérature advienne, il faut un silence qui laisse place à la quête, à l’exploration »
C’est précisément par ce seul mouvement et un état de fait que Cixous consent à caractériser son écriture : « des explorations, écrits en langue, principalement française ». Exploratrice infatigable, Wajsbrot ne désinterroge pas leurs écritures : le confinement, cette nouvelle perception du temps, ont-ils modifié quelque chose dans leur façon d’écrire ? 
Lettres dans la forêt répond de plusieurs voix, les voix dont les deux écrivaines sont traversées, habitées et endeuillées. C’est la voix de Kafka qu’Hélène Cixous pleure de ne jamais pouvoir entendre. Celle de son père qui lui fait dire que le deuil agit dans la voix. Wajsbrot de rappeler que lorsque le narrateur de La Recherche entend sa grand-mère ou sa mère au téléphone (l’objet vient d’entrer dans les maisons), il perçoit « l’éloignement du corps, déjà, une annonce de mort ». La voix qui, entre le printemps 2020 et la fin 2021, fut avec ces lettres l’une des rares voyageuses. 

Flora Moricet

Lettres dans la forêt
Hélène Cixous et Cécile Wajsbrot
L’Extrême contemporain, 150 pages, 14

Respiration à deux voix Par Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
LMDA papier n°240
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