Walter Benjamin, en tête de crise
- Présentation Un flambeur dans l’incendie
- Entretien Courroies de transmission
- Bibliographie Bibliographie indicative
- Autre papier Sur Le Capitalisme comme religion
- Autre papier Walter Benjamin contre le <I>fake</I>
- Autre papier Le courrier de l’humanité
- Autre papier Taupes, tigres, Proust
- Autre papier La mélancolie à double tranchant
- Entretien Tentative d’épuisement de l’époque
Walter Benjamin pense en témoin, avec l’expérience vécue, il pense en essayiste formé à la philologie, à partir de faits minimes, de cas particuliers.
Pour lui, le détail permet de dépasser les vues générales et les catégories disciplinaires. Il critique la pensée qui étiquette et range. Benjamin dérange parce qu’il produit des liens inédits, des montages. Il est complètement unsystematisch. Sa critique de l’esprit de système qui nous domine dans les contenus (la rentabilité, les résultats) comme dans les moyens (la technologie) est aussi claire que pertinente : ce qui l’intéresse, ce sont les liens (qui font les personnes), pas les choses (ou la réification des individus). Les constellations sont constituées de cas particuliers et de leur rencontre. La puissance des coïncidences et des associations est en tout point supérieure aux algorithmes de la société de consommation : l’imprévisible éveille sans stresser, il relie au monde, suscite un sentiment qui seul peut rendre possible une écologie. Le refus de tirer des conclusions est une violence poétique pour résister à la raison instrumentale.
Benjamin a la conviction philologique que la vérité gît dans le détail. Or, le fragment nous oblige à consteller, à conjecturer, à nous questionner sur la vérité plutôt que de tenir pour acquis des systèmes trop bien établis. La pensée de Benjamin est une méthode critique contre le fake. Il nous apprend à lire autrement que sur le mode convenu et manipulable. Sa pensée refuse de niveler le niveau et défend la difficulté grâce à l’étonnement. Philologue du détail révélateur, c’est aussi un excellent écolier. Il est toujours en train d’apprendre. Il me surprend tout le temps. Il y a chez lui un étonnement permanent qu’il commu-nique avec le désir d’apprendre et de prendre le risque d’apprendre. En Allemagne, il a été exclu des universités, qui n’ont pas voulu intégrer une auto-critique de leur institution et de leur système.
En 1939, Benjamin est resté à Paris. Il avait un livre à écrire. C’est un témoin de la misère et de la corruption, de la destruction. De la guerre. Ce qui se passait à Paris à cette époque, les mécanismes sociaux qu’il décrit, est de nos jours décuplé par les nouveaux médias qui facilitent le fait de prendre parti par opportunisme. Ce sont des histoires de désirs cachés, de figures courtisanes, de gourous politiques. Et la manière dont Benjamin pense tout cela est passionnante, parce qu’il le pense comme la preuve qu’autre chose existe : la pensée par liens devient l’expérience vécue des affinités électives, des sympathies et de l’entraide, ainsi que le désir d’imaginer d’autres rassemblements et des voisinages inédits.
Muriel Pic
> Dernier livre publié : L’Argument du rêve (Héros-Limite, 2022)