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Domaine étranger La haine et le désespoir

mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241 | par Thierry Cecille

Chronique d’une tragédie imprévisible : à Berlin, en 1933, Lion Feuchtwanger confronte une famille juive à l’irrésistible ascension des nazis.

Les Enfants Oppermann

En 1925, Lion Feuchtwanger, Allemand issu d’une famille de la bourgeoisie juive assimilée, connaît un succès mondial avec son roman Le Juif Süss. Il y conte la vie d’un « juif de cour », Joseph Süss Oppenheimer, qui, en plein XVIIIe siècle, parvient à être le conseiller tout-puissant du duc de Wurtemberg puis s’attire progressivement la haine du peuple et devient le bouc émissaire d’un antisémitisme meurtrier. Alors que Lion Feuchtwanger le présente comme un héros à la fois noble et tragique, le film commandité par les nazis – nous avons en mémoire les affiches placardées dans le Paris de l’Occupation – en fera le symbole du juif monstrueux, d’autant plus puissant que son pouvoir est dissimulé. Lion Feuchtwanger, lui, doit s’exiler dès 1933. Réfugié en France, il entreprend, comme en temps réel, de raconter ce qu’il a vu et vécu durant les mois terrifiants qui viennent de s’écouler. La traduction française du roman paraît aussitôt chez Albin Michel sous le titre Les Oppermann.
À la lecture des premières pages de cette nouvelle traduction, on ne peut en effet s’empêcher de penser à la maîtrise narrative d’un Thomas Mann et à son premier chef-d’œuvre, Les Buddenbrook. Il semble que nous entrions ici aussi dans une chronique familiale habilement menée mais traditionnelle. Réunis pour l’anniversaire du frère aîné, Gustav, écrivain érudit, les membres de la famille nous sont présentés les uns après les autres : les deux frères – l’un est médecin, l’autre dirige l’entreprise familiale de meubles – la sœur, mariée à un Américain, les enfants des uns et des autres. À cette famille représentative de la bourgeoisie juive fortunée, parfaitement installée au cœur de l’économie et de la culture allemandes, viendront s’ajouter d’autres personnages afin de composer un tableau plus complet de ce Berlin de 1933. Aux portraits suggestifs succèdent les dialogues, vifs et naturels, les scènes s’enchaînent sans que jamais notre attention ne se relâche : Feuchtwanger mêle très habilement les temps du passé à un présent de narration qui, quand il le faut, nous plonge dans l’action.
Bien entendu nous connaissons l’issue tragique de cette année et, pire encore, de celles qui suivront. Nous partageons alors comme douloureusement la découverte progressive, l’apprentissage de la catastrophe que vivent, chacun à leur manière et comme à leur rythme, les personnages. Certains sont plus clairvoyants que d’autres, certains plus angoissés, d’autres plus courageux – mais tous, en ces quelques mois, vont perdre toute certitude, être arrachés à leur vie d’avant. Nombre d’entre eux, pourtant, ne voyaient en Hitler, avant qu’il ne soit nommé chancelier, que le « chef de la publicité » du parti nazi. Dans un affrontement remarquable, le directeur du lycée que fréquentent deux des enfants Oppermann ose s’opposer à un professeur nationaliste car il ne peut accepter qu’on lise aux élèves des extraits de Mein Kampf  : « Personne n’exige de votre Führer qu’il maîtrise la grammaire allemande, mais moi, je l’exige des élèves ». Quelques mois à peine seront passés qu’il faudra apprendre par cœur des passages du livre alors comme divinisé ! De même, alors que certains se contentent de changer de trottoir quand ils croisent les « mercenaires » scandant des refrains tels que « Quand la grenade pète, / Le cœur est en fête » ou « Quand le sang juif gicle sous le couteau, / Le jour est encore plus beau », il leur faudra les chanter à leur tour, sous la menace, dans les camps de concentration tout juste ouverts mais vite remplis. Gustav, le personnage principal, résiste quelque temps, ne veut pas croire à ce que l’on raconte sur ces nazis, ce sont pour lui des « histoires à dormir debout » et il préfère se consacrer à son essai sur Lessing. Mais d’autres, plus perspicaces, le préviennnent – et le diagnostic ici proposé peut malheureusement sembler intemporel : « Pressées par la nécessité d’éviter qu’on ne découvre le scandale de leurs plantureuses subventions, les classes possédantes au pouvoir, grands propriétaires terriens en tête, venaient d’appeler les Barbares à la rescousse ».
Gustav, enfin, doit fuir : sa maison, à Berlin, est pillée, la famille Oppermann se disperse, l’un de ses neveux se donne la mort. Il passe par la Suisse puis choisit le sud de la France. Mais une mystérieuse tentation s’empare de lui – honte, remords, courage inattendu ? – et il décide de retourner en Allemagne, sous une fausse identité… Lion Feuchtwanger, lui, considéré en 1939 comme un ennemi potentiel car il est – encore – allemand, est incarcéré au camp des Milles – épisode douloureux qu’il relatera dans sa passionnante autobiographie intitulée… Le Diable en France !

Thierry Cecille

Les Enfants Oppermann
Lion Feuchtwanger
Traduit de l’allemand par Dominique Petit
Métailié, 394 p., 23

La haine et le désespoir Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°241 , mars 2023.
LMDA PDF n°241
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