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Domaine étranger Galerie de gorgones

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Christophe Dabitch

Belgrade durant la guerre, des femmes dominatrices, des hommes qui cherchent la liberté. Un recueil inédit d’Ivo Andrić.

La Chronique de Belgrade

Difficile de savoir avec un livre posthume si l’auteur en aurait approuvé la publication. Ivo Andrić (1892-1975), seul prix Nobel yougoslave, célèbre pour ses magnifiques romans et nouvelles – Un pont sur la Drina et La Chronique de Travnik – a écrit ces histoires entre 1946 et 1951. Composé d’un long récit à la chute bouleversante, Zeko, et de six nouvelles, le recueil a pour cadre Belgrade avant, pendant et après la Seconde Guerre, aux côtés du peuple qui subit l’occupation nazie, les bombardements, la faim et la « peur élémentaire ». L’auteur suit des destins individuels au cœur de la grande catastrophe et, selon le titre de l’un des récits, il est « avec les hommes » alors que nombre de ses personnages n’y parviennent pas et vivent une sorte d’écart existentiel. Ainsi Petar qui souhaiterait « simplement rester avec les hommes tels qu’ils sont, frivoles, soucieux, risibles, bons ou dépravés (…), se perdre au milieu d’eux, s’user jusqu’à la fin. » Ce qui est impossible pour lui car, contrairement à celles et ceux qui s’adaptent, la guerre plonge son être dans la confusion. Entomologiste et humaniste, Andrić nous fait partager ces vies quotidiennes, au ras de l’existence, sans réellement les juger, mis à part les personnages féminins.
Il s’agit peut-être de la dimension la plus étonnante de ce recueil, au point que le traducteur y consacre une postface dans laquelle il tente de rattraper une possible misogynie de l’auteur. Une extraordinaire galerie de gorgones traverse en effet ces récits. Féroces, dominatrices, possessives, matérialistes, lâches… Ces femmes tiennent sous leur coupe des hommes qui fuient pour se libérer, quitte à attendre la mort des épouses. Ainsi Zeko qui trouve symboliquement refuge sur un petit coin de terrasse d’où il observe les lumières des bombardements pendant que femme et fils détestables descendent à la cave. Alors que ces hommes tentent de s’ouvrir à la vie, ces femmes en referment la porte. Andrić l’explique par leur éducation, la « malédiction sociale » et « la logique d’un système  » d’avant le régime communiste auquel il adhérera, et il écrit par contraste quelques beaux portraits de femmes résistantes au fascisme ou d’une autre habitante qui simule une féminité soumise afin que personne ne remarque que son mari est dévirilisé par la peur des bombardements. Au-delà de ce parti pris, la force de ces nouvelles est d’emboîter concrètement la vie intime et sociale, l’espoir d’une libération individuelle et collective, le corps maltraité des habitants et celui de la ville.
À l’initiative de cette publication, la Fondation Andrić précise que la plupart de ces nouvelles sont inconnues ou inédites en français, que le titre lui-même est l’hypothèse d’un « roman spécifique qui aurait érigé un monument à la ville qui, en 1919, l’avait accueilli à bras ouverts  ». La désintégration de la Yougoslavie dans les années 1990 a provoqué une relecture nationaliste de son histoire. Andrić, né en Bosnie dans une famille croate, vécut à Sarajevo, Zagreb, Vienne et enfin Belgrade à partir de 1918, jusqu’à sa mort. Il fut diplomate yougoslave. Dans sa jeunesse, il milita au sein d’un mouvement composé de jeunes nationalistes. Ses livres les plus connus racontent une Bosnie où se mêlent origines et confessions, ce qui en fait la beauté mais aussi la tragique impossibilité dès que la différence devient un drapeau. Aujourd’hui, Andrić est visiblement détesté par certains en Bosnie pour ses « portraits négatifs » des musulmans, considéré comme un « traître » en Croatie mais par contre érigé en écrivain national en Serbie, pays dont il avait acquis la nationalité. Une vision nationaliste a ainsi rattrapé l’écrivain et, mezza voce, ce livre en fait partie. Si l’on retrouve son talent de conteur, on imagine ainsi une autre Chronique de Belgrade, voulue et pensée par l’auteur, qui aurait pris sa juste place dans son œuvre.

Christophe Dabitch

La Chronique de Belgrade
Ivo Andrić
Traduit du serbe par Alain Cappon,
Éditions des Syrtes, 221 pages, 21

Galerie de gorgones Par Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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