Un livre

Free Queens

de Marin Ledun

Editions Gallimard

Célèbre pour son pétrole, ses cauchemars meurtriers (Biafra, Boko Haram) et la richesse de sa littérature, le géant de l’ouest africain n’échappe pas aux clichés : au rayon roman noir, qui dit Nigeria dit violence et prostitution. De Lagos Lady de Leye Adenle à Grace l’intrépide de Karine Miermont, l’inusable thématique se répète, enrichie récemment par le motif des femmes puissantes (merci Marie Ndiaye), voire de meufs carrément féministes (merci #MeToo).
Il faut donc un sacré culot et un talent certain pour arriver à cuisiner, en 2023, un « polar nigérian » qui ne sente pas le réchauffé. Pari gagné ! Free Queens, roman politique qui pétarade de Lagos à Kaduna, met en scène la lutte à mort entre une poignée de Nigérianes féministes et les tout-puissants dirigeants de la MB Nigeria Inc, une société produisant la bière First, boisson locale, vendue grâce à de jeunes prostituées, enrôlées de force pour « accompagner » les buveurs, « dans les bars, les discothèques, les bouges les plus infâmes des bleds les plus paumés comme les boîtes les plus branchées des quartiers chics ». C’est ce dispositif d’esclavage sexuel, mis au service du marketing et du profit, que va découvrir, après moult assassinats et autres affreux rebondissements, une journaliste française (et plutôt rousse), que les militantes de l’association Free Queens acceptent d’accueillir au Nigeria et d’aider dans ses recherches.
Le malin Marin Ledun est habile à saisir l’air du temps. Il tape juste : il parvient à parler de prostitution sans (trop de) voyeurisme, à éviter la bien-pensance autant que le cynisme. Les battantes de Free Queens et les jeunes prostituées, comme le mercenaire/garde du corps de la journaliste ou le policier trop intègre qui mène l’enquête en douce, au péril de sa vie, tous sont criants d’humanité. Dans le portrait qu’il fait d’un monde fracturé, en perpétuel mouvement, Marin Ledun dénonce et s’engage. Sa colère fait du bien, autant que celle de ses reines libres.

Catherine Simon

Free queens
Marin Ledun
Gallimard, « Série noire », 416 pages, 21 €